La Nouvelle-Calédonie reste (de justesse) française !
À l’image du référendum écossais de septembre 2014, les Calédoniens ont choisi, le 4 novembre 2018, de répondre « non » à la proposition d’indépendance qui leur était faite à une courte majorité de 56,67 %. Marqué par une forte participation (81,01 %), le scrutin révèle une fracture territoriale et sociologique importante de l’archipel, les indépendantistes ne renonçant pas à leur projet. La Nouvelle-Calédonie doit à nouveau décider de son avenir au sein de la République en 2020 et en 2022.
Ce référendum boucle provisoirement un processus mis en place en 1988 et en 1998 par les accords de Matignon et de Nouméa, engendrant un transfert de compétences de la République française à la Nouvelle-Calédonie dans tous les domaines, hormis la défense, la sécurité intérieure, la justice et la monnaie. Le scrutin a eu pour effet positif d’encourager les grands médias nationaux à s’intéresser à cet archipel du bout du monde vu de France métropolitaine. N’étant ni un département et une région d’outre-mer (DROM) ni une collectivité d’outre-mer (COM), la Nouvelle-Calédonie dispose d’un statut spécial et d’une grande autonomie. Archipel de 18 575 kilomètres carrés situé à 1 500 kilomètres à l’est de l’Australie et à 17 000 de l’Hexagone, ce territoire est à la fois le plus distant et le plus vaste des espaces ultramarins insulaires français, bénéficiant d’une zone économique exclusive (ZEE) de 1,74 million de kilomètres carrés, soit cinq fois celle de la France métropolitaine.
UNE PRÉSENCE EUROPÉENNE ANCIENNE
Peuplée de 268 767 habitants (selon le dernier recensement de 2014) contre à peine 70 000 en 1956, la Nouvelle-Calédonie connaît l’une des plus fortes dynamiques démographiques des îles du Pacifique, avec une concentration de la population dans sa capitale, Nouméa. Cet archipel mélanésien est composé de l’île principale de la GrandeTerre d’une superficie égale à deux fois celle de la Corse, des quatre îles Loyauté (Ouvéa, Lifou, Tiga et Maré), ainsi que de nombreuses îles et des îlots plus lointains. Peuplée depuis environ 3000 ans par des navigateurs austronésiens en provenance des actuelles Philippines, elle est découverte le 4 septembre 1774 par James Cook (1728-1779) qui la nomme « New Caledonia » en raison de l’aspect des côtes qui lui rappellent le littoral écossais. Malgré cette découverte, les Britanniques ne montrent pas d’intérêt particulier pour cet archipel qu’ils n’occupent pas. Quelques navigateurs français accostent ensuite en 1792 et en 1825, mais c’est en 1844 que commence la colonisation avec le débarquement de militaires français sur la Grande Terre, entraînant de premiers
massacres d’indigènes en 1847. En 1853, Auguste Febvrier-Despointes (1796-1855) prend possession de l’île au nom de la France. L’un de ses officiers, Louis Tardy de Montravel (1811-1864), gère le territoire et fonde Port-de-France, qui deviendra Nouméa. Malgré des concessions de terres octroyées aux nouveaux arrivants par une spoliation des terres des autochtones, la dureté des conditions de vie, liées à un climat tropical et à des forêts denses humides à l’est et des savanes à l’ouest, décourage la colonisation. C’est alors que Napoléon III (1848-1870) décide d’y créer à partir de 1864, et jusqu’en 1931, une colonie pénitentiaire pour contenir les opposants à l’autre bout du monde. Les bagnards avaient alors l’obligation de rester en Nouvelle-Calédonie à la fin de leur peine pour une durée égale au nombre d’années d’emprisonnement effectuées.
DU NICKEL ET DES INÉGALITÉS
La découverte de minerai de nickel en NouvelleCalédonie en 1864 bouleverse l’économie de l’archipel, avec le développement d’une intense activité minière et métallurgique nécessitant un fort besoin de main-d’oeuvre. Jusqu’au premier choc pétrolier (1973), l’économie calédonienne est largement centrée sur l’exploitation du nickel, générant une forte croissance qui se poursuit dans les années 1990-2000 et permet à la Nouvelle-Calédonie de se positionner à un niveau de PIB par habitant élevé à l’échelle mondiale et bien supérieur à celui d’îles souveraines voisines (Vanuatu, Salomon, Samoa, Fidji). La structure de l’économie y présente ainsi des caractéristiques semblables à celles des pays les plus développés avec un secteur tertiaire prédominant. La société calédonienne est communautarisée entre les « Kanaks », terme initialement dépréciatif dont les Blancs affublaient les populations mélanésiennes, majoritaires jusqu’en 1958 et représentant 39 % des habitants de l’archipel en 2014 ; les « Caldoches », expression dévalorisante donnée par les Mélanésiens aux descendants de bagnards ou de colons essentiellement français nés en Nouvelle-Calédonie ; les « Métropolitains » ou « Zoreilles », qui sont les Européens arrivés plus récemment, non originaires de l’archipel. Ces derniers représentent 27 % de la population totale. Enfin, 8,2% sont natifs de la collectivité d’outre-mer de Wallis-et-Futuna ; le reste est d’origines diverses, principalement asiatiques. Les dépréciations et les inégalités criantes entre Kanaks et non-Kanaks sont à l’origine d’un mouvement identitaire, dans les années 1970, des populations autochtones avec d’importantes revendications culturelles et politiques sur l’archipel. Différents groupes indépendantistes vont alors se fédérer et remporter les élections de l’Assemblée territoriale en 1982 autour de la personnalité de Jean-Marie Tjibaou (19361989). Le peu d’avancées significatives vers l’indépendance pousse les indépendantistes à durcir leurs positions et à créer, en 1984, le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) puis à boycotter les institutions et les élections territoriales. La montée des tensions aboutit à la prise d’otages d’Ouvéa en 1988 : le dénouement de l’assaut, avec la mort de 19 militants du FLNKS et de deux gendarmes, enjoint la gauche de retour au pouvoir en France à favoriser les négociations entre les indépendantistes et les anti-indépendantistes du Rassemblement pour la Calédonie dans la République (RPCR), débouchant sur l’accord de Matignon. Il prévoit des transferts de compétences et les conditions d’un référendum d’autodétermination et est complété, dix ans après, par le traité de Nouméa.
UN TERRITOIRE CLIVÉ
Ces accords ont notamment permis d’importants progrès économiques et sociaux en Nouvelle-Calédonie avec une politique de rééquilibrage en faveur des territoires moins développés, mais n’ont pas, malgré un certain rattrapage, supprimé les disparités qui fracturent socialement et géographiquement la société. Le revenu médian est ainsi deux fois supérieur dans la Province Sud (Nouméa) que dans la Province Nord. Idem pour le taux de pauvreté : de 52 % dans les îles Loyauté contre 9 % dans la Province Sud. Le taux d’activité n’est que de 45 % pour la communauté kanake contre 64% pour les Européens. Un tiers des Kanaks n’ont aucun diplôme contre 7 % des Européens et, à l’inverse, 39 % des Européens sont diplômés de l’enseignement supérieur contre seulement 4 % des Kanaks. Le résultat serré du référendum du 4 novembre 2018 a révélé une profonde division de la société calédonienne sur l’avenir souhaité. On constate une fracture géographique, sociale et culturelle entre Nouméa et quelques territoires du sud et de l’ouest de l’île principale, où beaucoup d’Européens vivent et où le rattachement à la France semble naturel dans les représentations, et tout le reste de la NouvelleCalédonie, où les Kanaks sont majoritaires, et qui s’est prononcé plus massivement pour l’indépendance. La composition ethnique du collège électoral ayant le droit de voter pour le référendum a été une question sensible fixée lors de l’accord de Nouméa, excluant près de 35000 Européens en âge de voter : le scrutin est limité, entre autres, à ceux justifiant d’une durée de vingt ans de domicile continu en Nouvelle-Calédonie à la date de la consultation. Ce référendum ne marque pas la fin d’une revendication. Le résultat est même perçu comme une victoire pour les indépendantistes. Les deux prochains scrutins prévus doivent se tenir en 2020 et 2022 si les deux tiers des membres du Congrès de Nouvelle-Calédonie le demandent, entretenant et réactivant les clivages au sein de la société.