Waimaha : contes chamaniques au coeur de l’Amazonie
avec ce documentaire, voguant entre le cinéma d’ethnographie, l’essai et le film contemplatif, le cinéaste et photographe français françois fleury livre un portrait tout en mystère du peuple waimaha à travers ses contes et ses récits mythologiques.
Tourné dans la région du Vaupés en Colombie, dans le nord-ouest de la forêt amazonienne, non loin de la frontière brésilienne, ce documentaire évoque le quotidien des Waimaha (littéralement « peuple poisson ») par le prisme de nombreux récits mythologiques, égrenés en voix off. Trois légendes amazoniennes racontées par des chamans rythment le film et soutiennent des images d’une beauté saisissante. Ce parti pris fait de Waimaha un moyen métrage à part, sorte de proposition cinématographique à la fois immersive et contemplative mélangeant plusieurs approches, à la croisée du documentaire, du film d’art, de l’essai et de l’objet expérimental. Durant 42 minutes, François Fleury met en avant les sons tout autant que les lumières, les images et les formes. Au coeur de cette forêt profonde, le moindre bruit est parfaitement capté et mis en valeur : de celui des insectes à ceux de la pluie et de l’orage, en passant par ceux des êtres humains, de leurs pas et de leurs voix. Les voix justement : ce sont elles le fil directeur du documentaire. Dans sa volonté de saisir la rareté et la profondeur des vies qu’il filme et des récits qu’il enregistre, le réalisateur met au premier plan les contes chamaniques, déclamés en waimaha (ou bara), langue amérindienne d’Amazonie dite tucanoane parlée le long des rivières Caño Colorado, Caño Lobo, Caño Yapú et Inambú par quelque 500 personnes. Si la lenteur contemplative du film peut parfois dérouter, elle sert la mise en avant d’un mode de vie et d’une langue uniques et menacés. Vivant de la chasse et de la pêche, les Waimaha, comme les autres communautés de la région, se réclament de héros fondateurs et détiennent le privilège de fabriquer et d’utiliser certains objets rituels, comme la flûte sacrée. C’est la mythologie qui unifie les différents groupes linguistiques de la région. En leur assignant une origine commune, elle leur confère également une place hiérarchisée en fonction du lieu et de l’ordre de leur apparition dans la genèse. Ainsi, le parti pris du réalisateur de mettre en avant les récits mythologiques n’est pas un choix anodin ; il relève d’une justesse d’appréciation de l’importance à accorder à ces récits et de leur place centrale dans le passé et le quotidien des communautés du Vaupés en général et du peuple waimaha en particulier. À côté des récits mythologiques, François Fleury est parvenu à enregistrer les cérémonies traditionnelles de Yuruparí des chamans jaguars. Dans ces moments de célébration, les soirées collectives marquent les cycles annuels : la naissance, la mort, les rites initiatiques, les mariages, la construction des maisons, la migration du poisson, celle des oiseaux, ou encore la récolte de nourriture. Les sons de la flûte sacrée et des chants sont remarquablement mis en valeur dans Waimaha. Alors que notre attention se concentre sur eux, ils se distordent et se transforment petit à petit, se mêlant, de manière discrète, avec d’autres sons, plongeant nos sens dans une confusion méticuleusement organisée. Si l’aspect largement expérimental et artistique de ce documentaire peut laisser certains spectateurs en route, il semble pourtant nécessaire pour embrasser l’histoire d’une communauté à travers ses propres récits mythologiques. Finalement, c’est avec beaucoup d’audace que François Fleury se saisit du surnaturel inhérent au quotidien du peuple waimaha, en lui alliant les images d’une quotidienneté elle-même teintée de merveilleux.