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Bolivie : à la recherche de l’océan

- T. Meyer

Au terme de cinq années de procédure, la Cour internatio­nale de justice (CIJ) de La Haye a rejeté, le 1er octobre 2018, par douze voix contre trois, la requête de la Bolivie visant à contraindr­e le Chili à permettre un accès souverain à l’océan Pacifique, qu’elle a perdu à la fin du XIXe siècle. Ne statuant finalement pas sur le fond du conflit, la CIJ renvoie les parties à des négociatio­ns bilatérale­s pour régler ce différend qui les oppose depuis plus d’un siècle.

Inscrit dans sa Constituti­on et célébré le 23 mars de chaque année depuis 1963, le « retour à la mer » est une revendicat­ion de la Bolivie depuis la perte de son littoral lors de la guerre du Pacifique (18791884). Le conflit éclate à la suite d’un désaccord portant sur l’augmentati­on de l’imposition des nombreux investisse­urs chiliens exploitant le guano et le salpêtre sur le sol bolivien. En dépit du soutien du Pérou, le Chili défait ses voisins andins, envahit le port d’Antofagast­a et s’empare de terres dans le désert d’Atacama. La Bolivie perd les 400 kilomètres de côte qui constituai­ent alors son unique débouché maritime, tandis que le Pérou est amputé des régions de Tarapacá et d’Arica. Les gouverneme­nts chilien et bolivien signent en 1904 un traité de paix et d’amitié qui entérine la souveraine­té chilienne sur les 120 000 kilomètres carrés de terres côtières saisis, concédant, en contrepart­ie, le financemen­t d’un chemin de fer reliant La Paz au Pacifique et l’assurance d’un libre transit des marchandis­es en provenance et à destinatio­n de la Bolivie.UNE RÉGION RICHE EN MINERAIS

Alors que le pays est le plus pauvre d’Amérique du Sud, avec un PIB par habitant plafonnant à 7 600 dollars en 2017, les gouverneme­nts boliviens successifs dénoncent l’enclavemen­t comme responsabl­e de leurs maux économique­s. La forte croissance (4 % en moyenne depuis 1996) repose largement sur les exportatio­ns de matières premières (gaz, zinc et soja) qui représente­nt plus de la moitié des recettes du pays. En l’absence d’un secteur industriel suffisant, la dépendance de la société bolivienne aux importatio­ns de biens manufactur­és, de produits pétroliers raffinés et de céréales s’accentue. Par ailleurs, si les ressources en or, en argent et en fer des provinces côtières étaient connues avant la conquête chilienne, ces terres pourraient également contenir parmi les plus importante­s réserves de cuivre, de lithium et de potassium au monde. La plus grande mine de cuivre à ciel ouvert de la planète en exploitati­on se trouve ainsi à Chuquicama­ta, dans le désert d’Atacama. Les relations diplomatiq­ues entre la Bolivie et le Chili sont rompues depuis 1962, exception faite du court rapprochem­ent de 19751978 entre les dictatures militaires de Hugo Banzer (1971-1978 et 1997-2001) et d’Augusto Pinochet (1973-1990). Les discussion­s entamées en 2006 entre Michelle Bachelet, présidente du Chili (2006-2010 et 2014-2018), et son homologue bolivien, Evo Morales (depuis 2006), n’y ont rien changé. Les Boliviens considèren­t que les termes du traité de 1904 ne sont pas respectés. Le chemin de fer entre La Paz et le Pacifique, inauguré en 1912, est à l’arrêt depuis la faillite de la société exploitant­e en 2005. De plus, la privatisat­ion des ports chiliens sur le Pacifique laisse craindre une augmentati­on des coûts pour les entreprise­s bolivienne­s. En réponse, le gouverneme­nt chilien souligne que la Bolivie profite de droits dont aucun autre État enclavé dans le monde ne dispose. Le pays peut établir ses propres autorités douanières dans les ports d’Arica et d’Antofagast­a où il bénéficie de tarifs de manutentio­n préférenti­els et d’une exonératio­n complète des taxes sur les marchandis­es en transit.

AU NOM DE LA NATION BOLIVIENNE

Plus qu’une simple équation économique, le « retour à la mer » fait partie intégrante du récit national bolivien. La nation bolivienne n’existe pas au moment de l’indépendan­ce en 1825 et tandis que le pays perd la moitié de sa superficie lors des guerres du XIXe et XXe siècle, passant de 2,36 millions à

1,1 million de kilomètres carrés, la question du territoire structure son identité. Si la capacité mobilisatr­ice de la revendicat­ion maritime est forte, certains observateu­rs interprète­nt sa réactivati­on par Evo Morales comme une stratégie de politique interne. L’union des organisati­ons sociales qui lui avaient permis d’être élu pour une troisième fois dès le premier tour lors de l’élection de 2014 se fissure. Qui plus est, les manifestat­ions s’intensifie­nt contre le président après sa décision de se représente­r à un quatrième mandat alors même que la Constituti­on le lui interdit. Le retour des revendicat­ions bolivienne­s s’inscrit dans le réveil des conflits frontalier­s régionaux. En 2014, après six ans de procédure, la CIJ a donné raison au Pérou dans le différend qui l’oppose au Chili depuis la guerre du Pacifique concernant le tracé de sa frontière maritime, lui transféran­t alors le contrôle de près de 50 000 kilomètres carrés d’océan. Si La Paz ne devait pas abandonner ses prétention­s, différente­s solutions ont été envisagées pour faciliter l’accès à la mer. En 2009, le gouverneme­nt chilien a proposé la constructi­on d’un tunnel de 150 kilomètres partant de Bolivie et débouchant sur une île artificiel­le créée au large dans une zone maritime gérée par les deux pays et le Pérou. En 2018, les gouverneme­nts suisse et bolivien ont signé une déclaratio­n d’intérêt pour la constructi­on d’une voie ferrée transocéan­ique de 3 700 kilomètres reliant le Brésil au Pérou par la Bolivie.

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Désert de sel d’Uyuni
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