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La haute mer et ses enjeux : exploiter tout en préservant

- T. Meyer

Après quatorze années de tractation­s, la première des quatre sessions de négociatio­ns devant aboutir à la création d’une convention commune sur la haute mer s’est tenue à New York du 4 au 17 septembre 2018. Alors que la présence humaine et l’exploitati­on des ressources s’y développen­t, l’objectif est de trouver un traité contraigna­nt pour gérer la biodiversi­té de ces espaces qui couvrent près de la moitié de la planète.

Appelées « haute mer » ou « eaux internatio­nales », les zones marines situées au-delà des juridictio­ns nationales (ZAJN) désignent deux espaces distincts, selon la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM) de 1982. D’une part, le sol et le sous-sol des mers après les plateaux continenta­ux des États côtiers, et, d’autre part, la colonne d’eau située au-delà des zones économique­s exclusives (ZEE), qui s’étendent jusqu’à 200 milles nautiques des côtes (environ 370 kilomètres). Si le cadre régulant les activités humaines dans les ZEE est énoncé par la CNUDM, la gouvernanc­e des ZAJN, qui couvrent 46 % de la surface terrestre et 64 % de celle des océans, reste parcellair­e.

DES ESPACES RICHES ET CONVOITÉS

La CNUDM désigne les sols et sous-sols de la haute mer comme « patrimoine commun de l’humanité », déléguant leur gestion à l’Autorité internatio­nale des fonds marins (AIFM), qui réglemente l’exploratio­n minière, la recherche scientifiq­ue et le partage des bénéfices économique­s tirés de ces activités. Rien de tel n’existe pour la colonne d’eau ; la CNUDM a ainsi consacré le principe de liberté de navigation, de pêche, de recherche, de pose de câbles et de pipelines, de constructi­on d’îles artificiel­les. Cet espace n’est toutefois pas vierge de réglementa­tions. Une cinquantai­ne de traités s’y appliquent, mais ces instrument­s demeurent sectoriels, régulant le transport maritime, la sécurité des navires, la pêche à la baleine ou les pollutions marines, et de portée géographiq­ue circoncise. Les activités humaines dans les ZAJN se sont développée­s exponentie­llement depuis 1982 et les règles qui les régissent ne sont plus à la hauteur des enjeux. L’épuisement des stocks halieutiqu­es dans les ZEE a entraîné une augmentati­on de la pêche en haute mer, passée de 450 000 tonnes en 1950 à 6 millions en 2014. Cette activité, réalisée pour un tiers par la Chine, ne subsiste toutefois que grâce aux aides d’État sans lesquelles la moitié de la pêche au large serait non rentable. De plus, le patrimoine génétique des espèces se développan­t dans des écosystème­s aux conditions extrêmes de températur­e, de luminosité et de pression suscite la convoitise de l’industrie pharmaceut­ique. Le géant allemand de la chimie BASF détiendrai­t ainsi 47 % des brevets associés à des gènes d’organismes marins. L’exploratio­n des ressources minérales se déploie également en haute mer, avec 29 permis accordés (novembre 2018) par l’AIFM à la France, à la Pologne, à la Russie, au Japon, au Brésil, à l’Inde, à l’Allemagne et à la Corée du Sud. Ces contrats concernent principale­ment

des nodules et des sulfures polymétall­iques, deux types d’agrégats recherchés pour leur richesse en manganèse, silicium, aluminium, nickel, cuivre et cobalt. Enfin, la haute mer est un lieu de passage obligatoir­e du transport maritime, relayant près de 90% du commercial mondial, mais aussi des 430 câbles sous-marins qui, sur près de 800 000 kilomètres, constituen­t l’épine dorsale de nos communicat­ions numériques.

ACTIVITÉS HUMAINES

Les négociatio­ns de septembre 2018 à New York sont le fruit d’un processus lancé en 2004 par

la création d’un groupe de travail informel au sein de l’Assemblée générale des Nations unies. Quatre thèmes concentren­t les attentions : la définition d’outils permettant de créer des aires marines protégées en haute mer, l’obligation d’établir des évaluation­s d’impact environnem­ental pour les activités humaines s’y déroulant, la régulation du brevetage des ressources génétiques marines et le partage des bénéfices associés, et le transfert des technologi­es marines. S’ajoutent également des dispositio­ns institutio­nnelles et financière­s visant à la création d’instances décisionne­lles et de coopératio­n avec les organismes existants. L’objectif est de conclure d’ici à 2020 un nouveau traité juridiquem­ent contraigna­nt. Si 140 pays ont voté le 24 décembre 2017 en faveur de l’ouverture de ces négociatio­ns, d’im- portants clivages persistent. Les États-Unis, qui n’ont jamais signé la CNUDM, la Russie, le Japon, la Corée du Sud, le Canada et l’Islande se sont longtemps montrés réticents au projet de traité internatio­nal. Le front commun des membres de l’Union africaine, de la Communauté des Caraïbes et des États du Pacifique, soutenus par la Chine, l’Union européenne, l’Australie et la Nouvelle-Zélande a eu raison de cette opposition. Mais toutes les divisions ne sont pas éteintes. Le G77, qui regroupe 134 pays en développem­ent, plaide pour l’applicatio­n du principe d’héritage commun de l’humanité à la colonne d’eau, identique à celui régissant les sous-sols, une position refusée par certains États côtiers, dont les États-Unis, le Canada et la Russie.

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Auckland
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