Samouni Road : itinéraire d’une famille gazaouie
gaza, 27 décembre 2008, 11 h 30 du matin. l’opération « plomb durci » est lancée par israël. vingt-deux jours, 1330 morts du côté palestinien et 13 du côté israélien plus tard, l’attaque prend fin le 18 janvier 2009. un an après le cessez-le-feu, la caméra du réalisateur italien stefano savona se pose au coeur d’une famille et d’un territoire brisés et en reconstruction (1).
Malgré eux, la guerre est inscrite dans l’itinéraire des Samouni. Elle se lit non seulement dans la trajectoire familiale, mais aussi dans le territoire qui l’abrite. Jusque-là épargnés par soixante ans de conflits et d’occupation, plusieurs membres de la famille ont été tués pendant un raid de l’armée israélienne et il ne reste plus grand-chose des maisons et des oliviers qui faisaient jadis la fierté des Samouni. De la prospère oliveraie exploitée depuis cent cinquante ans par la famille de la jeune Amal dans le bien nommé quartier de Zeitoun (« olive », en arabe) ne subsistent plus que quatre arbres. Traversant un terrain ravagé, Amal se souvient de l’emplacement d’un immense figuier sur lequel les enfants grimpaient pour en cueillir les fruits. Trônant jadis au centre de son village, il a disparu aussi soudainement que brusquement, tout comme le père d’Amal et 28 membres de sa famille. Pour évoquer la trajectoire de cette communauté paysanne et, à travers elle, celle d’un territoire et d’un pays, le réalisateur prend le parti de proposer trois vecteurs de narration. Aux témoignages et à la saisie sur le vif d’une quotidienneté reprenant tant bien que mal ses droits se greffent des images de synthèse pour retranscrire le point de vue des drones israéliens et des animations crayonnées finement en noir et blanc pour raconter le passé familial avant et après la tragédie. Quoique ces phases narratives soient maîtrisées, ce choix du virtuel et du dessin est discutable alors que la caméra parvient à retranscrire avec force non seulement le réel, mais aussi l’imaginaire à travers les yeux d’Amal notamment. Les images du territoire et les témoignages sont d’une puissance remarquable et parviennent à eux seuls à retranscrire la sensation de vertige résultant de l’imbrication des échelles, des enjeux et des temporalités. La force de ce long-métrage documentaire réside dans cette imbrication. En montrant les Samouni non seulement comme les victimes d’un crime de guerre, mais également comme une famille avec ses problèmes, ses projets et ses disputes, le réalisateur parvient à dessiner plusieurs perspectives et plusieurs temporalités : de la quotidienneté à l’irruption de la guerre dans les existences, en passant par les questionnements, les ressentiments et la reconstruction matérielle et humaine. Archéologue et anthropologue de formation, Stefano Savona réussit à montrer à la fois l’abasourdissement, la douleur, l’humiliation et le vide, en même temps que les tentatives de récupération politique du drame et des martyrs par le Fatah, le Hamas et le Djihad islamique, et la gestion discutable des dommages et intérêts versés aux victimes. Film militant, Samouni Road reste fin et intelligent. S’il laisse la part belle à la notion de résilience, il prend en même temps soin de montrer qu’elle ne va pas de soi et quand la caméra se fixe sur un groupe d’orphelins vivant au milieu des ruines dans le souvenir de leur père massacré, dont l’un chante la mémoire et l’autre dessine le portrait sur une feuille froissée, on ne peut s’empêcher de penser à leur future place dans la guerre qui les a vus naître et grandir.
NOTE
(1) Sorti en France en novembre 2018, Samouni Road est disponible en DVD à partir d’avril 2019.