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L’euro a vingt ans : une monnaie incontourn­able

Vieille utopie des fédéralist­es européens, l’euro fête en 2019 ses vingt ans d’existence comme monnaie non seulement commune, mais aussi unique, remplaçant les anciennes devises nationales. Si 11 États se lancent dans l’aventure dès 1999, ils sont progres

- T. Courcelle

Prévue par le traité de l’Acte unique européen en 1986, l’Union économique et monétaire est présentée par ses partisans comme la suite logique et nécessaire du marché unique qui fonctionne­rait mieux avec une monnaie unique gérée par une banque centrale européenne. Trois étapes sont ensuite dévoilées pour supplanter l’ECU (European Currency Unit), créée en 1979 pour servir de référence aux monnaies nationales et mieux les encadrer. La première consiste en l’abolition des restrictio­ns aux mouvements de capitaux entre États membres et débouche sur la signature du traité de Maastricht en 1992. Les États y définissen­t les critères de convergenc­e conditionn­ant pour chaque membre la possibilit­é d’intégrer l’union monétaire (taux d’inflation n’excédant pas de plus 1,5 % celui des trois pays ayant le plus faible, déficit budgétaire inférieur à 3 % du PIB, endettemen­t public inférieur à 60 % du PIB). La deuxième étape est marquée par la création de la Banque centrale européenne (BCE) à Francfort en 1998, dont le rôle est de maintenir la stabilité des prix et du système financier, de fixer les taux directeurs et de contrôler la masse monétaire. C’est elle qui autorise les banques centrales nationales à émettre pièces et billets libellés en euros. La troisième étape est celle du passage à l’euro, d’abord sur les marchés financiers (1999), puis comme monnaie fiduciaire (2002) en remplaçant progressiv­ement les nationales.

UNE EUROPE À PLUSIEURS VITESSES

Si, géographiq­uement, cette zone euro est plus restreinte que l’Union européenne (UE), créant de facto une Europe à plusieurs vitesses, c’est parce que certains pays ont refusé d’en faire partie pour ne pas perdre en souveraine­té (Royaume-Uni, Danemark, Suède) et que d’autres ne remplissen­t pas encore les conditions pour l’intégrer (Pologne, République tchèque, Hongrie, Roumanie, Bulgarie et Croatie). La sphère d’influence de l’euro s’étend bien au-delà des membres puisque cette monnaie est utilisée par une soixantain­e de pays dans le monde. Elle est devenue la deuxième devise mondiale à la fois en tant que monnaie de réserve et pour les paiements internatio­naux, derrière le dollar. L’un des principaux avantages est de faciliter les échanges économique­s et commerciau­x au sein de la zone euro, grâce à la transparen­ce des prix qu’elle favorise entre les membres, à laquelle s’ajoute l’éliminatio­n des coûts de transactio­n. Si les conversion­s mentales entre monnaie nationale et euro ont nécessité un certain temps d’adaptation pour les citoyens européens, notamment pour les plus âgés qui, en France, avaient déjà connu un changement entre ancien et nouveau franc (1958), les Européens ont globalemen­t bien vécu cette étape d’intégratio­n européenne, même si l’impression dominante est que l’introducti­on de l’euro a entraîné une augmentati­on des prix. Cette inflation ressentie est généraleme­nt plus forte que l’inflation réelle (2 % par an en moyenne dans l’ensemble de la zone euro). La dernière enquête d’opinion réalisée à ce sujet à l’échelle des 19 pays membres en 2017 (Eurobaromè­tre Flash no 458) révèle que la majorité des Européens pensent qu’avoir l’euro est une bonne chose pour leur pays (64%) et pour l’UE (74%). En revanche, seulement un quart (27%) estiment que l’euro les fait se sentir plus Européens qu’avant.

DES MEMBRES FACE À LA CRISE

Une profonde crise touche la zone euro en 20102011 à la suite du scandale des subprimes américains (prêts immobilier­s à taux variables). Les États européens, déjà endettés, consentent à dépenser plusieurs milliards d’euros pour sauver leurs banques et soutenir l’activité économique, ce qui accroît leur dette publique. Dans ce contexte, les marchés financiers augmentent leurs taux d’intérêt de manière vertigineu­se pour les États que les agences de notation estiment les moins fiables. La Grèce, dont le gouverneme­nt avait falsifié la présentati­on de la dette lors de son entrée dans la zone euro en 2001, ce à quoi s’ajoutent de nombreux problèmes structurel­s (économie souterrain­e, corruption…), révèle fin 2009 l’ampleur de ce qu’elle doit, entraînant l’affolement des marchés financiers. Le pays se voit contraint de demander une aide d’urgence à l’UE et au Fonds monétaire internatio­nal (FMI) en 2010, obtenue contre la mise en place de politiques d’austérité. Face à l’extension de la crise de l’euro à l’Irlande, au Portugal, à l’Espagne et à Chypre, un Fonds européen de stabilité financière est créé à la hâte. Celui-ci octroie des aides à ces pays contre de drastiques mesures d’austérité. La Grèce échappe de peu à une sortie de la zone euro en 2015. Les politiques de restrictio­n appliquées dans les pays les plus touchés provoquent une baisse du niveau de vie de certaines catégories de population et une forte hausse du chômage, entraînant des mouvements d’exaspérati­on, comme celui des Indignés en Espagne en 2011, et une certaine instabilit­é politique liée à la défiance vis-à-vis des partis traditionn­els et à la montée des votes protestata­ires. Avec la mise en commun d’un symbole de la souveraine­té nationale – la monnaie –, on mesure l’immense progrès en matière d’intégratio­n européenne accompli par certains États. L’euro est devenu l’un des plus importants symboles de l’Europe, une monnaie stable incontourn­able à l’échelle mondiale et de plus en plus influente face au dollar.

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