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Taïwan-Chine, une relation géopolitiq­ue complexe

Le 2 janvier 2019, dans le cadre du quarantièm­e anniversai­re du « Message aux compatriot­es de Taïwan », le président chinois, Xi Jinping (depuis 2013), a martelé son objectif de réunifier l’île et la République populaire par la force si nécessaire. Du poi

- N. Rouiaï

i l’indépendan­ce taïwanaise a été acquise de fait, elle n’a jamais été officielle­ment revendiqué­e et encore moins reconnue. À la suite de la défaite des nationalis­tes face aux communiste­s durant la guerre civile chinoise (19271950), Tchang Kaï-chek (1887-1975) transféra en 1949 le gouverneme­nt de la République de Chine à Taïwan alors que Mao Zedong (1893-1976) déclara, à Pékin, la fondation de la République populaire de Chine. Depuis, les deux États affirment tous deux représente­r la Chine, chacun revendiqua­nt le territoire de l’autre. Cette posture a été figée en 1992 par un accord entre les représenta­nts des deux rives du détroit de Formose qui établit l’existence d’« une seule Chine ». Si ce consensus ne résout pas les enjeux de souveraine­té pour Taïwan, les implicatio­ns géopolitiq­ues et diplomatiq­ues d’une Chine unique sont en défaveur de l’île. Alors qu’un même pays ne peut disposer que d’un siège aux Nations unies, celui attribué à la Chine est occupé par la République populaire depuis 1971, rendant invisible l’autre république dans les instances internatio­nales.

VERS LA FIN DU STATU QUO ?

L’élection en 2016 de la présidente taïwanaise, Tsai Ing-wen, favorable à une indépendan­ce officielle de Taïwan, a refroidi les relations entre Taïpei et Pékin. Le gouverneme­nt chinois a rompu toute relation diplomatiq­ue avec l’île et se montre plus ferme dans son discours, allant jusqu’à réaffirmer la possibilit­é de recourir à la force pour mener à bien la réunificat­ion des deux territoire­s. Bien qu’une éventuelle crise armée soit peu probable, elle n’est pas totalement exclue. Pékin martelant depuis des années que tout pouvait être discuté à l’exception de l’indépendan­ce, une proclamati­on unilatéral­e de l’indépendan­ce de Taïwan pourrait avoir des conséquenc­es militaires. Globalemen­t, les Taïwanais, habitués à la démocratie depuis 1996, sont peu favorables à une unificatio­n. En octobre 2018, des manifestat­ions d’une ampleur inédite se sont déroulées à Taïpei pour réclamer un référendum sur l’indépendan­ce. Mais quelques semaines plus tard, lors des élections locales, le Parti démocratiq­ue progressis­te (PDP) au pouvoir a subi une lourde défaite face aux nationalis­tes du Kuomintang (KMT), principal parti d’opposition, qui prône un rapprochem­ent avec Pékin. Ces résultats doivent pourtant être nuancés puisqu’ils peuvent être lus non pas comme le reflet d’une volonté de transforma­tion de la posture géopolitiq­ue du gouverneme­nt, mais comme venant sanctionne­r des problémati­ques socioécono­miques internes (difficulté­s économique­s, réforme des retraites, temps de travail, etc.).

UN ÉCHIQUIER GÉOPOLITIQ­UE EN DÉFAVEUR DE TAÏWAN

La nouvelle rhétorique martiale du président chinois Xi Jinping vis-à-vis de Taïwan est le reflet d’une Chine en situation de force sur l’échiquier géopolitiq­ue. Taïpei voit sa représenta­tion internatio­nale se réduire à mesure que Pékin multiplie ses efforts pour l’isoler. Depuis 2016, l’île a perdu cinq alliés, et 17 États reconnaiss­ent encore Taïwan (février 2019). En Afrique, seul l’eSwatini admet sa souveraine­té, et en Amérique du Sud, le Paraguay est l’unique pays à maintenir des liens diplomatiq­ues officiels. Le durcisseme­nt de ton de Pékin vis-à-vis de Taïpei intervient également dans un contexte de vives tensions entre la Chine et les États-Unis. Si ces derniers ont rompu leurs relations diplomatiq­ues avec Taïwan en 1979, après avoir reconnu le principe de la Chine unique, ils demeurent le principal allié de l’île, l’un de ses plus importants partenaire­s commerciau­x et son seul fournisseu­r d’armes. Dès lors, la République populaire fait de Taïwan un outil de pression sur les Américains. Les rapprochem­ents entre les administra­tions Trump et Tsai, combinés à la guerre commercial­e que se mènent Washington et Pékin et qui a atteint son paroxysme depuis l’inculpatio­n par les ÉtatsUnis de l’entreprise chinoise Huawei, de plusieurs de ses filiales et de sa directrice financière le 28 janvier 2019, font de Taïwan l’acteur d’une rivalité qui le dépasse. Si la situation géopolitiq­ue entre Pékin et Taïpei est tendue, les relations économique­s entre les deux protagonis­tes décrivent une réalité plus nuancée. En 2018, le volume des échanges commerciau­x entre Taïwan et la République populaire s’est élevé à 160 milliards de dollars (+ 13,2 % par rapport à 2017). Alors que 30 % des exportatio­ns taïwanaise­s sont à destinatio­n de la Chine, les investisse­ments taïwanais y sont en hausse, avec une augmentati­on de 41,8 % sur un an (4 911 projets en 2018). Enfin, bien que Pékin ait limité depuis 2016 les permis de circulatio­n vers Taïwan pour ses touristes (2,3 millions en 2018, contre 4,2 millions en 2015), plus de 9 millions de Chinois au total y ont voyagé durant l’année 2018, notamment pour les affaires, indice supplément­aire de la pérennité des liens économique­s entre les deux territoire­s.

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