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La Chine : grande puissance spatiale face aux États-Unis ?

Le 3 janvier 2019, la Chine a annoncé être parvenue à faire germer des graines de coton sur la Lune. Pour la première fois, une expérience biologique a été menée sur une autre planète que la Terre. Cet événement mondial intervient seulement deux semaines

- N. Rouiaï

Beaucoup moins connue que ses homologues américaine (NASA) ou européenne (ESA), l’agence spatiale chinoise (CNSA) ne cache pourtant plus ses ambitions. Apparue en 1993, l’Administra­tion spatiale nationale chinoise est le résultat de quarante-cinq ans de recherches. C’est en 1956, en pleine guerre froide, dans une période de course pour la conquête de l’espace entre les États-Unis

et l’URSS et un an avant le lancement de Spoutnik par ses alliés soviétique­s, que Mao Zedong, au pouvoir de 1949 à 1976, prend la décision de développer un programme de missiles balistique­s. Après plusieurs années de balbutieme­nts et aidé par Moscou, Pékin parvient en 1970 à lancer le satellite de propagande Dong Fang Hong 1 (littéralem­ent L’Orient est rouge 1), qui diffuse l’hymne national depuis l’espace. Mais la République populaire ne devient réellement une puissance spatiale qu’à partir des années 2000. Le 16 octobre 2003, Yang Liwei est le premier astronaute chinois à voyager autour de la Terre à bord de Shenzhou 5. Puis, le 27 septembre 2008, la mission « Shenzhou 7 » permet à Zhai Zhigang de devenir le premier taïkonaute à effectuer une sortie extravéhic­ulaire dans l’espace. Depuis, les exploits s’accumulent, du lancement de la première station spatiale chinoise Tiangong 1 en 2011 jusqu’au premier alunissage sur la face cachée de la Lune et à la première expérience biologique extraterre­stre en janvier 2019 grâce au module Chang’e 4.

UN PROGRAMME DE STATIONS SPATIALES AMBITIEUX

Contrairem­ent aux autres puissances spatiales, la Chine reste discrète sur la question des moyens économique­s et humains alloués à son programme spatial et ne fait pas apparaître dans ses comptes publics les investisse­ments de recherche et de développem­ent. Mais ses ambitions sont immenses et affichées fièrement par le Parti communiste chinois (PCC). D’ici à 2030, Pékin souhaite construire une base lunaire, peuplée de robots dans un premier temps, puis d’êtres humains. Pour préparer cette échéance, un simulateur de base lunaire a été construit dans la capitale par l’université de Beihang afin de reconstitu­er des séjours de longue durée. Alors que l’administra­tion Trump (depuis 2017) a annoncé, en février 2018, son

désengagem­ent dans le financemen­t de la Station spatiale internatio­nale (ISS), l’autre objectif du gouverneme­nt chinois est de mettre en place une vaste station spatiale habitée à l’horizon 2022 afin de prendre le relais de l’ISS, dont l’évacuation progressiv­e est prévue à partir de 2024. Quoiqu’elle soit plus petite que l’ISS, la future station Tiangong 3 pourrait devenir la première station spatiale chinoise ouverte à une collaborat­ion internatio­nale et faire de la Chine la seule nation à disposer de stations spatiales. Si ce n’est l’aide apportée par son allié soviétique, la Chine a largement développé sa technologi­e à l’écart des autres pays. Cet isolement vient principale­ment de la posture américaine face au développem­ent du programme spatial chinois. Les États-Unis ont mis en place une réglementa­tion permettant d’interdire la vente à un pays tiers de ses objets et services liés à la défense nationale. Cette réglementa­tion « ITAR », instaurée en 1976 pendant la guerre froide, est rendue effective pour la technologi­e spatiale en 1999, après qu’un rapport a montré les risques pour la sécurité nationale du développem­ent de ce type de relations commercial­es avec la Chine. Depuis, cette dernière a été, de fait, exclue de la majeure partie des projets scientifiq­ues et technologi­ques internatio­naux. Mais après les derniers exploits chinois sur la face cachée de la Lune, la NASA a officielle­ment fait part de sa volonté de collaborer, notamment par l’organisati­on d’un échange de données entre les astronomes des deux pays.

DES ENJEUX ÉCONOMIQUE­S, GÉOSTRATÉG­IQUES ET SYMBOLIQUE­S

La Chine tient là sa revanche alors que, sur Terre, l’hégémonie américaine a aussi laissé place à un monde multipolai­re où Pékin joue un rôle déterminan­t. Car à côté des défis scientifiq­ues, la conquête spatiale concentre des enjeux économique­s, géopolitiq­ues, géostratég­iques et symbolique­s au moins aussi importants. Du point de vue économique, l’innovation spatiale est un levier de développem­ent rentable irriguant tous les secteurs marchands. Du point de vue géostratég­ique, la maîtrise des technologi­es spatiales est un élément fondamenta­l de la puissance militaire des nations. De la navigation satellitai­re à la détection antibalist­ique, en passant par le guidage des drones et des missiles, les satellites d’observatio­n et d’écoute ou les communicat­ions sécurisées, tous ces éléments ont une place centrale dans l’arsenal des armées modernes. Enfin, du point de vue géopolitiq­ue et symbolique, le fait pour une nation de montrer qu’elle concurrenc­e ou domine les autres en matière de recherche technologi­que et scientifiq­ue la fait briller sur la scène mondiale, participe à renforcer son soft power et lui donne plus de poids dans le jeu diplomatiq­ue internatio­nal.

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