Irak : une reconstruction après-guerre sur les rails
Immortalisé par Agatha Christie dans les aventures d’Hercule Poirot, le réseau ferré irakien, pionnier en son genre au début du XXe siècle, a souffert des affrontements qui déchirent le pays depuis les années 1980. Dans un territoire couvert aux deux cinquièmes par le désert et où la croissance de la population urbaine dépasse 3 % par an, la remise en marche du système ferroviaire est primordiale pour la reconstruction économique comme pour l’unité politique.
Des 2 138 kilomètres de voies ferrées qui traversent l’Irak, seules trois lignes serpentant sur 836 kilomètres étaient exploitées début février 2019 par la compagnie des chemins de fer de la république. La ligne reliant Bagdad à Falloujah, libérée de l’organisation de l’État islamique (EI ou Daech) en juin 2016, n’a été rouverte qu’en août 2018, tandis que celle connectant la capitale à Samarra, lieu de pèlerinage chiite, a été remise en marche le 15 janvier 2019. En dépit des combats contre Daech, le trafic entre Bagdad et Bassora, deuxième ville du pays et fenêtre sur le golfe Persique, passant par la ville sainte chiite de Kerbala, n’a pas été interrompu depuis 2012.
LE TRAIN, VICTIME DES GUERRES
Loin d’être vétustes, ces lignes sont empruntées par des trains chinois achetés entre 2014 et 2016, capables d’atteindre 160 kilomètres à l’heure, quand les précédentes locomotives étaient limitées à 70. Si les affrontements contre l’EI ont endommagé les chemins de fer du pays, l’état du réseau irakien témoigne encore des destructions de la guerre contre l’Iran (1980-1988), de la guerre du Golfe (1990-1991) ainsi que de l’intervention américaine de 2003 et souffre du manque de maintenance résultant des sanctions économiques imposées au régime de Saddam Hussein (1979-2003) après 1990. Ainsi, la ligne qui reliait Bagdad à Mossoul n’a pas redémarré depuis la chute du dictateur. L’arrivée du train en Irak résulte de rivalités entre grandes puissances européennes à la fin du XIXe siècle. L’idée d’un lien ferroviaire entre la Méditerranée et le golfe Persique passant par la vallée de l’Euphrate émerge au RoyaumeUni afin de sécuriser les communications entre Londres et l’Inde en cas de blocage du canal de Suez. L’abandon du projet après la prise en main britannique de l’Égypte en 1882 laisse la place aux Allemands qui obtiennent, en 1903, par l’entremise de la Deutsche Bank, une concession de l’Empire ottoman pour la construction d’une ligne reliant Konya à Bassora en passant par Bagdad. Elle octroie un droit exclusif sur l’exploitation des ressources minérales sur une bande de 20 kilomètres de part et d’autre de la voie, assurant ainsi le contrôle des gisements pétroliers. Ce n’est qu’en 1940 qu’un train put faire directement le trajet entre Istanbul et la capitale irakienne. Développé en deux temps, d’abord pendant la Première Guerre mondiale, puis lors du mandat britannique (1920-1932), le réseau ferré était divisé en deux systèmes composés de rails à l’écartement différent, jusqu’à sa standardisation financée dans les années 1970 par l’Union soviétique.
UNE ALTERNATIVE FIABLE POUR LE DÉVELOPPEMENT
La réhabilitation des transports interurbains irakiens est un enjeu central de la reconstruction économique du pays, où le taux d’urbanisation atteint 70,2% en 2018, renforcé par l’arrivée de déplacés fuyant les combats contre Daech. Alors que les trajets s’effectuent principalement en minibus et en taxi partagé, le train offre une alternative moins onéreuse et surtout plus fiable, libérée des attentes aux checkpoints militaires qui ponctuent les routes. Sur les 100 milliards de dollars demandés par le Premier ministre irakien, Haïdar al-Abadi (20142018), lors du sommet de Davos de janvier 2018 pour la reconstruction des infrastructures du pays, 13,7 milliards sont destinés à améliorer la ligne Bagdad-Bassora, 8,65 milliards à la réfection de celle desservant Mossoul et 8 milliards à la construction d’un métro dans la capitale. Dans les faits, la remise en état du réseau reliant le Kurdistan irakien au reste du pays a été freinée par Bagdad à la suite des résultats du référendum du 25 septembre 2017 donnant 92,7% de votes favorables à l’indépendance. Ailleurs, les travaux ont déjà permis de relancer le transport de produits pétroliers depuis les raffineries situées à l’intérieur des terres vers les terminaux portuaires de Khor al-Zubair, dans le golfe Persique. Le rail reste toutefois minoritaire, fournissant moins d’un quart des 100 000 barils de fioul que l’Irak a exportés par sa façade maritime en 2018. Alors que le réseau ferré national est déjà connecté à la Syrie et à la Turquie et qu’une nouvelle ligne vers la Jordanie est envisagée, le gouvernement irakien compte sur le train pour devenir un hub de transit des marchandises envoyées d’Asie vers le Moyen-Orient et l’Europe, évitant la navigation par Suez et la Méditerranée. L’interconnexion du réseau irakien a réveillé d’autres intérêts géopolitiques. En décembre 2018, les gouvernements iranien et irakien ont annoncé la construction d’une ligne entre Bassora et le poste-frontière de Shalamcheh en Iran. Longue d’une trentaine de kilomètres, cette voie sera financée par Téhéran. Pour l’Irak, ce projet est l’occasion d’interconnecter son réseau avec celui de la Russie et de la Chine en passant par le territoire iranien, renforçant sa potentielle place de plate-forme entre l’Europe et l’Asie. Pour l’Iran, le but est de rallier par voie terrestre le port de Lattaquié, sur la Méditerranée, en Syrie. Si certains, au premier chef le gouvernement israélien, dénoncent un moyen de transporter de potentielles troupes vers l’allié historique de la République islamique, l’objectif de cette liaison ferroviaire est également de contourner les sanctions économiques rétablies contre l’Iran en novembre 2018.