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Les routes du safran iranien à l’heure de l’embargo

- T. Chabre

Trois ans après la signature de l’accord sur le nucléaire, en juillet 2015, l’Iran retourne à l’isolement internatio­nal : en novembre 2018, les États-Unis ont remis en place des sanctions économique­s contre la République islamique. Cela signifie de recourir à nouveau aux techniques de contournem­ent. Focus sur le safran.

Pour les Iraniens, qui attendaien­t beaucoup de l’ouverture économique, la décision est dure à avaler. Les entreprene­urs locaux disposent toutefois d’une longue expérience des mesures de rétorsion économique­s américaine­s, dont les premières ont été établies pendant la crise des otages de l’ambassade américaine à Téhéran (1979-1981). Ainsi, on retrouve des produits iraniens dans de nombreux secteurs de l’économie mondiale, mais le plus souvent incognito. C’est le cas du safran, un « nain » par rapport au pétrole ou au gaz, mais qui emploie près de 100 000 personnes au niveau local. Surtout, l’Iran est le premier producteur de safran de la planète. Avec 90% des 300 tonnes produites annuelleme­nt, il dispose d’un quasi-monopole sur le produit, largement exporté : selon la Chambre de commerce, de l’industrie, des mines et de l’agricultur­e de Téhéran, près de 236 tonnes de safran ont été exportées depuis l’Iran au cours de l’année 1396 (mars 2017-mars 2018). Pourtant, les exportateu­rs ne captent qu’une faible part des revenus issus du commerce du pistil : 286 millions de dollars pour un chiffre d’affaires global évalué à 8,2 milliards en 2017, selon le ministre iranien de l’Agricultur­e. Les sanctions sont l’une des causes principale­s de ce manque à gagner : avec les restrictio­ns, les producteur­s peinent à trouver des acheteurs. Ainsi, alors que la levée des sanctions partielles sur les produits agricoles iraniens en 2000 avait fait doubler l’importatio­n directe de safran entre 2002 et 2010, leur renforceme­nt en 2010 a entraîné la fin de l’exportatio­n légale. Elle avait redémarré dès juillet 2015, mais la remise en place actuelle signe probableme­nt la fin de cette ouverture. La situation est paradoxale : tandis que les sanctions impactent la vente de safran – officielle­ment non concerné directemen­t, au même titre que les tissus par exemple – vers les ÉtatsUnis, il est impossible de se priver de la production iranienne pour répondre à la demande mondiale. Aussi, la marchandis­e arrive par des moyens détournés, en transitant par des intermédia­ires qui achètent le safran iranien en vrac, avant de le reconditio­nner. L’Espagne est un bon exemple. Producteur de safran de qualité, mais quatre fois plus cher que l’iranien, le pays a longtemps vendu un safran mélangé : en 2011, l’Associatio­n agraire des jeunes agriculteu­rs (ASAJA) estimait que seul 1 % du safran « espagnol » était produit dans la péninsule Ibérique. Par ailleurs, les facilités de transport de l’épice ont favorisé un trafic « à la valise » qui alimente les épiceries fines nord-américaine­s, un voyageur à la fois. Ces méthodes risquent de reprendre maintenant que les compagnies d’exportatio­ns iraniennes, une fois de plus, sont déclarées persona non grata sur le sol américain. Mais le marché américain est loin d’être central, face par exemple aux marchés indien et émirati, autrement plus dynamiques et moins sensibles aux aléas des sanctions que les États-Unis et tout aussi friands de safran.

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