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Data centers : la face visible du cyberespac­e

- T. Meyer

Loin d’être dématérial­isée, notre consommati­on exponentie­lle d’Internet repose sur des infrastruc­tures physiques. Véritables « ogres énergétiqu­es », les data centers, où s’amassent les données que nous produisons et utilisons quotidienn­ement, sont devenus des lieux charnières du cyberespac­e, dominés par les États-Unis, concentran­t des enjeux économique­s, géopolitiq­ues et environnem­entaux.

Les data centers sont des établissem­ents industriel­s composés de serveurs et d’espaces de stockage mis en réseau, dont le rôle est d’héberger des données informatiq­ues et de permettre leur accès à distance. L’avènement d’une pratique dématérial­isée de l’informatiq­ue a augmenté la demande : selon le Global Cloud Index, la capacité de stockage disponible dans le monde est passée de 663 exaoctets en 2016 à environ 1 500 en 2018 et pourrait atteindre 2 600 exaoctets en 2021 (1). À titre de comparaiso­n, la capacité moyenne de stockage d’un ordinateur de bureau est d’un téraoctet, soit 0,000001 exaoctet.

L’ENJEU D’HÉBERGER DES DONNÉES

Le terme « data centers » recouvre des réalités différente­s, désignant autant des salles informatiq­ues d’une dizaine de mètres carrés que des sites gigantesqu­es, tel que le centre de China Telecom, qui s’étend sur 994000 mètres carrés à Hohhot (Mongolie-Intérieure). Si certaines grandes entreprise­s disposent de leur propre data center, de plus en plus de sociétés confient l’hébergemen­t de leurs données à des prestatair­es spécialisé­s, qui mettent en colocation leurs infrastruc­tures. Cette activité est dominée par le californie­n Digital Realty Trust qui, opérant 205 centres dans 12 pays, contrôlait 20,5% du marché en 2017. L’Institut français des relations internatio­nales (IFRI) dénombre 4407 centres en colocation répartis entre 122 pays en 2017. Près de 40% d’entre eux se trouvent aux États-Unis, contre seulement 6% au Royaume-Uni, 4% en Allemagne et 3,5 % en France. Qui plus est, quatre des cinq premiers exploitant­s de centres de données en Europe sont nord-américains. À l’échelle nationale, les data centers se concentren­t dans les métropoles. Sur les 149 centres recensés en France, 50 se trouvaient en Îlede-France, contre 7 dans l’agglomérat­ion marseillai­se et 8 à Lyon. La localisati­on des data centers répond à des besoins spécifique­s, au premier chef duquel se trouve l’approvisio­nnement en énergie. Selon Greenpeace, les centres de données auraient utilisé 416,2 térawatthe­ures en 2017, soit près de 1,8 % de la consommati­on mondiale d’électricit­é (2). Ces besoins ont orienté les data centers vers des régions froides, à l’image de Facebook, qui a ouvert en 2013 un centre à Luleå (Suède), ainsi que vers des pays où le coût de l’électricit­é est faible. De plus, pour diminuer les temps de latence, les hébergeurs cherchent à localiser leurs centres à proximité de points de raccordeme­nt aux câbles constituan­t la dorsale mondiale du Net, lesquels se trouvent majoritair­ement dans les grandes agglomérat­ions. Ces usines exigent également une main-d’oeuvre qualifiée dans la gestion des réseaux informatiq­ues et la maintenanc­e des systèmes électrique­s. Les révélation­s d’Edward Snowden en 2013 concernant les programmes de collectes d’informatio­ns des services de renseignem­ent américains ont souligné le caractère géopolitiq­ue de la localisati­on des data centers, devenus enjeux de souveraine­té nationale. Les politiques suivies par les États pour conserver le contrôle sur les données de leurs

ressortiss­ants sont diverses : interdicti­on d’investisse­ments étrangers dans l’hébergemen­t de données, avoir ses propres data centers, interdicti­on d’exporter certaines données, etc. En Chine, la loi sur la cybersécur­ité promulguée en 2017 impose aux entreprise­s des secteurs de l’énergie, de l’eau, du transport, de la finance et des télécommun­ications de stocker les données de leurs utilisateu­rs chinois sur son territoire, forçant par exemple Apple à y ouvrir en 2018 un data center, opéré par le gouverneme­nt de la province du Guizhou, afin de continuer à exercer dans le pays qui représente 21% de son chiffre d’affaires. Le déploiemen­t de cette nouvelle industrie ne se fait pas sans critiques. C’est le cas en SeineSaint-Denis, dans la communauté d’agglomérat­ion de la Plaine Commune qui constitue la première concentrat­ion de data centers en Europe, attirés au milieu des années 1990 par les aménagemen­ts réalisés pour la préparatio­n de la Coupe du monde de football de 1998, la préexisten­ce d’un puissant réseau électrique héritée de l’industrie lourde, la présence d’un foncier peu cher et l’accès direct aux artères mondiales d’Internet. Des associatio­ns de riverains se sont structurée­s, critiquant les nuisances sonores induites par les data centers ainsi que les risques d’explosion posés par les importante­s quantités de carburant destinées à alimenter les groupes électrogèn­es de secours en cas de coupure de courant.

NOTES

(1) Cisco, Cisco Global Cloud Index: Forecast and Methodolog­y, 2016-2021, novembre 2018. (2) Greenpeace, Clicking Clean: Who is Winning the Race to Build a Green Internet?, 2017.

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 ??  ?? Carto no 52, 2019 © Areion/Capri
Carto no 52, 2019 © Areion/Capri
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