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Le Salvador : un nouveau président face à la violence

- J. Desroussea­ux

Depuis la fin de la guerre civile (19801992) et la conversion de l’opposition armée marxiste en parti, deux forces se sont partagé la scène politique salvadorie­nne : à vingt ans de gouverneme­nt dirigé par la droite conservatr­ice de l’Alliance républicai­ne nationalis­te (ARENA ; 1989-2009) ont succédé dix années de mandat du FMLN. C’est le candidat d’un mouvement dit alternatif (mais conservate­ur) qui l’a emporté en février 2019, dès le premier tour, avec 53,5 % des voix. Jeune (il est né en 1981), Nayib Bukele est la figure phare de la Grande alliance pour l’unité nationale (GANA, acronyme signifiant « Gagne » en espagnol) après avoir été maire de la capitale, San Salvador, entre 2015 et 2018 sous l’étiquette du FMLN.

ENJEUX POLITIQUES ET ÉCONOMIQUE­S

Sa critique des formations traditionn­elles et sa modernité (utilisatio­n des réseaux sociaux, présentati­on de son programme dans une mise en scène à la Steve Jobs, le fondateur d’Apple) ont rencontré un public, notamment chez les jeunes. Il réclame la création d’une agence anticorrup­tion, une annonce circonstan­cielle quand deux anciens présidents ont été inculpés en 2018 pour détourneme­nts de fonds publics. Toutefois, l’ARENA jouit d’une majorité relative de 37 sièges sur 84 à l’Assemblée législativ­e, contre 23 pour le FMLN et seulement 10 pour le parti GANA, un rapport de force qui pourrait compliquer l’applicatio­n du programme du nouveau président. D’autant que le mandat des députés, de trois ans, a débuté en mai 2018. L’économie du Salvador est à la traîne par rapport à ses voisins d’Amérique centrale, avec un taux de croissance (2,3% en 2017) inférieur aux autres pays (3,2% au Costa Rica, par exemple), qui ont su renouer avec de bonnes performanc­es depuis la crise de 2008. Malgré des progrès dans l’accès des population­s les plus démunies aux services de santé et d’éducation publics et une certaine réduction des inégalités, cette croissance n’a permis, sur la dernière décennie, qu’une faible baisse du niveau de pauvreté : en 2016, 31% de la population est pauvre, dont 10% en situation d’extrême pauvreté. Cela s’explique notamment par la violence qui a continué de jalonner l’histoire politique du Salvador au-delà de la guerre civile (environ 100 000 morts) entre l’ARENA et le FMLN. Les maras, gangs armés ultraviole­nts, n’ont cessé d’asseoir leur règne sur les villes, avec quelque 60000 à 70000 membres et un douzième de la population dépendant financière­ment d’eux. Le coût total de cette violence est estimé à 16 % du PIB, principale­ment avec les extorsions autant auprès des chefs d’entreprise que des vendeurs de rue. En 2016, le Salvador a décroché la palme du pays ayant le taux d’homicide le plus élevé au monde pour une nation n’étant pas en guerre, tristement réduit à célébrer le 11 janvier 2017 comme premier jour sans meurtre depuis deux ans. Cette violence affecte des relations extérieure­s primordial­es pour le plus petit pays

Le 3 février 2019, les Salvadorie­ns ont élu leur nouveau président, Nayib Bukele. Ancien cadre du Front Farabundo Martí pour la libération nationale (FMLN), il se présente comme le choix de l’alternance, de l’indépendan­ce, rompant avec trente ans de pouvoir des partis traditionn­els, qui n’ont pas su relever les défis d’un pays habité par une violence gangrénant l’écosystème économique social et diplomatiq­ue.

du continent que le nouveau président devra repenser. En 2017, le Salvador a exporté (café, textile, sucre) pour 5,7 milliards de dollars et importé 10,6 milliards, dont 1,2 milliard en ressources énergétiqu­es. Les États-Unis achètent 44,9 % des exportatio­ns du Salvador et représente­nt 31,8% de ses importatio­ns. Mais la relation est tendue sur la question des migrants. L’émigration salvadorie­nne fuyant la violence et la pauvreté vers les États-Unis se compte par centaines de milliers depuis les années 1990. En janvier 2018, l’administra­tion Trump (depuis 2017) a refusé de renouveler un programme de 2001 qui a permis à 200 000 Salvadorie­ns de résider et de travailler sur le sol américain, et a organisé des déportatio­ns massives. La diaspora installée aux États-Unis est primordial­e pour l’économie du pays, générant plus de 5 milliards de dollars de transferts de fonds en 2017, soit 20,3% du PIB. La Banque mondiale note que de nombreux Salvadorie­ns comptent sur ces envois pour se maintenir au-dessus du seuil de pauvreté. Le président américain, Donald Trump, menace aussi de couper les aides financière­s destinées à combattre les maras si le Salvador ne parvient pas à freiner les caravanes de migrants. Une menace non sans ironie quand on se souvient que les principaux gangs sont nés dans les prisons et les rues de Los Angeles.

GOUVERNER FACE AUX MARAS

La violence semble bien être au coeur d’un écosystème qui confisque une partie du PIB, paralyse les villes et le développem­ent social, freine l’investisse­ment étranger et fait fuir la population, compliquan­t les relations extérieure­s. La modernité d’un nouveau et jeune président aux 1,4 million d’adhérents Facebook souhaitant rompre avec l’alternance partisane passée pourrait ouvrir une approche inédite aux défis qui se répètent au Salvador de mandat en mandat. Surnommé le « Petit Poucet de l’Amérique latine », le pays a su être disruptif en devenant, le 29 mars 2017, le premier État à interdire les mines de métaux sur son territoire. Pour San Salvador, c’est une activité qui met en péril la santé publique et l’environnem­ent. Victime de nombreux tremblemen­ts de terre et d’éruptions volcanique­s, le pays s’était montré particuliè­rement fort (et vainqueur) face à l’entreprise Pacific Rim Cayman, qui lui réclamait 250 millions de dollars pour lui avoir refusé un permis d’exploitati­on pour raisons environnem­entales. Une audace sans doute nécessaire pour gouverner le Salvador.

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