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RDC : quel avenir après l’« ère Kabila » ?

- G. Fourmont

Il aura fallu deux ans pour que la période transitoir­e d’un président sans mandat légal prenne fin en République démocratiq­ue du Congo (RDC). Le 30 décembre 2018, Félix Tshisekedi a été élu lors d’un scrutin maintes fois reporté depuis 2016, succédant ainsi à Joseph Kabila, homme fort du pays depuis 2001. Si la victoire de l’opposition marque une alternance démocratiq­ue, le nouveau chef de l’État fait face à d’immenses défis.

Lorsqu’il perd son père, Étienne Tshisekedi, le 1er février 2017, Félix Tshisekedi sait que la RDC a besoin d’un leader jeune et dynamique, à l’image du disparu charismati­que opposant à Joseph Kabila. Son patronyme permet un certain règlement des conflits internes au sein de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), dont il prend la présidence en mars 2018. Le 30 décembre 2018, il remporte 38,5 % des voix, devant Martin Fayulu (34,8%), autre figure de l’opposition, et Emmanuel Ramazani Shadary (23,8 %), dauphin de Joseph Kabila. Il a néanmoins fallu plusieurs jours pour connaître les résultats officiels, confirmés le 10 janvier 2019 par la Commission électorale nationale indépendan­te (CENI), l’équipe de Martin Fayulu ayant dénoncé des fraudes. Il faut dire que le scrutin ne fut pas aisé à organiser : après plus de deux ans de report, de nombreuses difficulté­s techniques ont été observées, notamment en raison de l’absence de bulletins, quand des épidémies (Ebola) n’ont pas empêché de voter. Dans les villes de Beni et de Butembo, dans l’est, et de Yumbi, dans l’ouest, la présidenti­elle fut même annulée.

UN PASSÉ LOURD À GÉRER

Si la fin de la dictature de Mobutu Sese Seko (1965-1997) révèle au monde un pays rongé par la corruption, pillé pour ses richesses sans permettre le développem­ent, le départ de Joseph Kabila n’est qu’apparent. En effet, ce dernier tenait au pouvoir politique pour mieux assurer son pouvoir économique. Une enquête parue en décembre 2016 décortique l’empire que l’ancien président a tissé : il posséderai­t des intérêts dans 70 compagnies de différents secteurs (mines, banques, élevage, télécommun­ications, transport, énergie, hôtellerie, etc.). Toutes appartienn­ent à des proches de confiance, enfants, frères et soeurs (1). Joseph Kabila reste donc serein dans cette « nouvelle RDC », d’autant qu’il a pactisé avec son successeur. Cette vision remet en perspectiv­e les accusation­s d’ingérence et de pillage d’États tiers dans les affaires congolaise­s, comme le Rwanda. Si la situation actuelle n’est pas comparable avec celle des années 1990, l’est de la RDC reste isolé et soumis à une forte instabilit­é. Dans la seule région du Kivu, 69 groupes armés étaient recensés en 2015 (2), alors que les Nations unies maintienne­nt quelque 15 000 Casques bleus depuis 1999, après les guerres de 1996-1997 et 1998-2003, sans parvenir à préserver la paix. Fin 2017, 4,5 millions de Congolais étaient déplacés à l’intérieur de leur pays. Les analystes se posent toujours la même question : comment gérer un pays de 2,34 millions de kilomètres carrés, soit plus de quatre fois la France métropolit­aine, avec seulement 3 000 kilomètres de routes goudronnée­s ? Les défis ne manquent pas. Car au-delà des enjeux politiques et économique­s, la situation de la population civile est plus qu’inquiétant­e. Les Nations unies dénoncent régulièrem­ent les problèmes d’accès à l’alimentati­on et à l’eau potable pour les 81,34 millions d’habitants (2017), dont le PIB est de 800 dollars par personne. Le pays figure parmi les plus pauvres de la planète en matière de développem­ent humain. Un scandale pour un territoire aux 80 millions d’hectares de terres arables et aux 1 100 minéraux et métaux précieux. Sa première richesse est le cobalt, si nécessaire pour les batteries.

L’ENJEU DES RICHESSES DE LA TERRE, DES DÉFIS MAJEURS

Les grandes compagnies sont consciente­s que se joue en RDC l’avenir du développem­ent technologi­que mondial, et nombreuses sont celles ayant déjà approché Félix Tshisekedi, comme la canadienne Ivanhoe Mines, présente dans le cuivre dans la région de Kolwezi (sud-est). D’autres constituen­t un « État dans l’État », représenta­nt parfois un danger bien plus important que les multiples milices agissant dans le pays ; c’est le cas de Glencore, groupe anglo-suisse dont le bénéfice est équivalent au budget de la RDC (quelque 6 milliards de dollars en 2019). Ces entreprise­s ne voient pas d’un bon oeil la réforme du Code minier de mars 2018, imposant une redevance de 10 % (contre 2 % auparavant) sur le cobalt et le cuivre. Les relations du nouveau président avec les acteurs privés s’annoncent plus que délicates, alors que ce n’est pas sa spécialité. Félix Tshisekedi est peu lié aux affaires économique­s du pays, d’où l’importance d’un gouverneme­nt fort, capable non seulement de négocier avec les compagnies étrangères, mais aussi avec les potentats nationaux – dont Joseph Kabila, qui reste un homme clé –, de lutter contre la corruption, d’affronter une opposition ne reconnaiss­ant pas sa légitimité, et surtout de répondre aux attentes sociales de la population. Mission impossible ?

NOTES

(1) Michael Kavanagh, Thomas Wilson et Franz Wild, « With His Family’s Fortune at Stake, President Kabila Digs In », in Bloomberg, 15 décembre 2016. (2) Jason K. Stearns et Christoph Vogel, Cartograph­ie des groupes armés dans l’est du Congo, Groupe d’études sur le Congo, décembre 2015.

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