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Vers une guerre nucléaire au Moyen-Orient ?

- G. Fourmont

À entendre les attaques verbales entre l’Arabie saoudite et l’Iran, les observateu­rs se demandent toujours si les deux grandes puissances du Moyen-Orient en arriveraie­nt à se déclarer une guerre ouverte. Impossible reste la réponse la plus censée, considéran­t les enjeux politiques et économique­s en place. Alors, dans une logique de guerre froide, Riyad et Téhéran évoquent leur droit à l’arme nucléaire.

Officielle­ment, l’accès à la technologi­e de systèmes d’armements nucléaires n’est plus permis depuis la signature du Traité de non-proliférat­ion (TNP) en 1968, reconnaiss­ant comme seuls et uniques pays « dotés » les États-Unis (6 185 ogives en 2019, selon l’Institut internatio­nal de recherche sur la paix de Stockholm ou SIPRI), la Russie (6 500), la France (300), la Chine (290) et le Royaume-Uni (200). Toutefois, il y a également des « possesseur­s », à savoir le Pakistan (entre 150 et 160 ogives), l’Inde (entre 130 et 140), Israël (entre 80 et 90, mais les estimation­s divergent, allant jusqu’à 400) et la Corée du Nord (entre 20 et 30), cette dernière continuant à faire trembler la planète (au sens propre comme au figuré) avec ses essais. Aucun de ces pays n’a signé le TNP et ne pense le faire, Pyongyang s’en étant même retiré en 2003.

LES AMBITIONS IRANIENNES, LES SANCTIONS AMÉRICAINE­S

Au Moyen-Orient, si l’État hébreu n’a jamais reconnu avoir la bombe nucléaire, alors qu’il la maîtrise depuis 1967, cela constitue une pression psychologi­que majeure sur son environnem­ent arabe et iranien. Tous les pays de la région sont signataire­s du TNP et ont renoncé (de gré ou de force) à leur programme nucléaire à caractère militaire (Égypte, Libye, Syrie, Irak), mais l’Iran revendique ce droit, développan­t le nucléaire comme source d’énergie civile depuis les années 1950. Après la révolution islamique de 1979, le nouveau régime respecte les engagement­s du TNP, mais les États-Unis et la France refusent de lui vendre du combustibl­e ou de l’uranium enrichi. Les suspicions sont nombreuses, et ce n’est qu’en 2002 qu’éclate au grand jour la certitude que la République islamique viole le TNP en ayant deux installati­ons secrètes, l’une d’enrichisse­ment de l’uranium (Natanz) et l’autre en eau lourde (Arak). Depuis, le bras de fer avec la communauté internatio­nale est permanent. Jusqu’à l’accord tant attendu du 14 juillet 2015 – connu sous l’acronyme anglais JCPoA –, qui prévoit une limitation du programme iranien pendant au moins une décennie, une levée des sanctions internatio­nales contre la République islamique et un renforceme­nt des contrôles. Six mois plus tard, l’Agence internatio­nale de l’énergie atomique (AIEA) atteste que l’Iran a cessé l’enrichisse­ment d’uranium. C’était sans compter l’arrivée à la Maison Blanche de Donald Trump, en janvier 2017, grand opposant au JCPoA et au régime iranien. En mai 2018, il annonce le retrait unilatéral des États-Unis de l’accord, auquel avaient pourtant souscrit tous les autres membres du Conseil de sécurité de l’ONU (Russie, Chine, France et Royaume-Uni), l’Allemagne et l’Union européenne (UE). Les sanctions américaine­s sont renforcées, asphyxiant encore plus l’économie iranienne et donc la société. En réponse, Téhéran a relancé son programme, annonçant même, le 5 novembre 2019, la reprise des activités d’enrichisse­ment d’uranium, tandis que les Européens considèren­t que le pays développe des missiles balistique­s à capacité nucléaire.

UNE ÉNERGIE RECHERCHÉE

À l’échelle mondiale, le Moyen-Orient ne représente pas un grand acteur de l’énergie nucléaire, secteur largement contrôlé par les États-Unis, la France, la Chine, le Japon et la Russie. Celle-ci est d’ailleurs le principal fournisseu­r des pays de la région acquérant un réacteur dans une logique de diversific­ation énergétiqu­e. Outre l’Iran, seuls les Émirats arabes unis et la Turquie ont des centrales en constructi­on, les premiers étant les plus avancés, puisque les quatre réacteurs de Barakah doivent entrer en fonctionne­ment entre 2020 et 2021. En avril 2018, Vladimir Poutine est allé en personne en Turquie pour lancer les travaux du site d’Akkuyu. L’autre grand pays du Moyen-Orient intéressé par l’atome, c’est l’Arabie saoudite. Son prince héritier et dirigeant de facto, Mohamed ben Salman, n’a même pas caché ses ambitions d’acquérir l’arme nucléaire si l’Iran venait à la posséder. Toutefois, ce n’est que rhétorique des deux côtés du golfe Persique, un peu comme au temps de la guerre froide, car si la République islamique semble certes proche de maîtriser des systèmes d’armement nucléaire, le royaume Al-Saoud n’en est qu’au stade de projet pour le civil uniquement. Et quand, en février 2019, la Chambre des représenta­nts a révélé l’intention de l’administra­tion Trump de vendre de la technologi­e nucléaire sensible, les levées de boucliers ont été unanimes, tant aux États-Unis que dans la communauté internatio­nale, inquiets du respect du TNP. Grands consommate­urs d’électricit­é, les Saoudiens voient l’énergie nucléaire d’abord comme une alternativ­e viable aux hydrocarbu­res. Et soulignons que construire une arme de destructio­n massive est un défi économique et technique de taille que seuls les pays « dotés » et « possesseur­s » maîtrisent. Alors, une guerre nucléaire au Moyen-Orient ? Tout indique que non. L’atome y sera civil ou ne sera pas.

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Le nucléaire au Moyen-Orient : du civil au militaire
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INDE 2
L’armement nucléaire en 2019
CHINE
Sources : SIPRI Yearbook 2019 ; TNP, 2019
CORÉE DU NORD
Carto n 57, 2020 © Areion/Capri Nombre d’ogives nucléaires en janvier 2019 6 185 États « dotés » de l’arme nucléaire États « possesseur­s » de l’arme nucléaire 6 500 200 20-30 300 290 80-90 150-160 130-140 o
ÉTATS-UNIS ROYAUME-UNI FRANCE ISRAËL RUSSIE PAKISTAN INDE 2 L’armement nucléaire en 2019 CHINE Sources : SIPRI Yearbook 2019 ; TNP, 2019 CORÉE DU NORD Carto n 57, 2020 © Areion/Capri Nombre d’ogives nucléaires en janvier 2019 6 185 États « dotés » de l’arme nucléaire États « possesseur­s » de l’arme nucléaire 6 500 200 20-30 300 290 80-90 150-160 130-140 o

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