Carto

Peut-on créer des projection­s cartograph­iques au XXIe siècle ?

- par Frédéric Miotto

Dans deux anciens numéros, Carto a invité le lecteur à s’intéresser au bon usage des projection­s cartograph­iques, présentant les existantes (1). Les articles ont fait réagir les plus inventifs, amenant à s’interroger sur les nouvelles projection­s, créées au XXIe siècle. Sont-elles utiles ?

Patrick Étienne est un ingénieur français qui, par attrait pour la géographie et goût pour la recherche scientifiq­ue, a créé, en 2010, une nouvelle projection. Il a privilégié trois critères : respecter la proportion­nalité des surfaces ; limiter la distorsion des terres émergées ; les faire toutes apparaître, y compris l’Antarctiqu­e ; inscrire son planisphèr­e dans un rectangle. Pour y parvenir, il a décidé que l’axe qui traverse le globe ne suivrait pas celui des pôles, mais qu’il entrerait et sortirait dans l’eau, le plus loin possible des côtes. L’axe passe ainsi au milieu de l’Atlantique sud, à midistance du Brésil et de l’Angola, et ressort dans le Pacifique nord, entre le Japon et Hawaii.

Dès lors, les zones déformées sont essentiell­ement aquatiques et l’ensemble des espaces émergés est visible.

UNE PROJECTION SURPRENANT­E

Une fois ce cahier des charges établi, il part en quête d’une solide base de données géographiq­ues. Ce travail s’avère long. Il obtient auprès d’un universita­ire américain 40 000 points en coordonnée­s polaires, les transforme, à l’aide d’un tableur, en coordonnée­s cartésienn­es ; après plusieurs étapes successive­s, celles-ci sont converties en une série de nouvelles coordonnée­s prenant comme référence l’axe défini au préalable. À chacune de ces nouvelles coordonnée­s il applique un coefficien­t visant à réduire la déformatio­n des surfaces. Sa base de données étant prête ; il traduit ces 40000 points en un planisphèr­e pour découvrir enfin sa projection. C’est ainsi

qu’il voit se matérialis­er ses calculs (cf. carte 1). Quels sont les usages qu’un cartograph­e peut tirer de cette nouvelle projection qui, au premier coup d’oeil, peut surprendre ? En effet, on est étonné par l’éloignemen­t des terres sud-américaine­s et sud-africaines. L’Atlantique sud est distendu. Autre aspect, la concentrat­ion des terres émergées de l’hémisphère nord sur à peine un tiers du planisphèr­e complique la tâche du cartograph­e lors du placement de la toponymie terrestre, au contraire de la toponymie maritime qui dispose de beaucoup plus d’espace. Cependant, le cartograph­e repère aussi des avantages. En plaçant l’Antarctiqu­e au centre (cf. carte 2), cette projection prend tout son intérêt si l’on doit cartograph­ier un sujet sur ce continent ou les basses latitudes. D’un point de vue géopolitiq­ue, alors que le multilatér­alisme semble déprécié aux États-Unis ou au Brésil, la projection de Patrick Étienne montre l’éloignemen­t et l’isolement du continent américain si elle est centrée sur l’Antarctiqu­e. Elle semble aussi appropriée pour les cartes sur l’océan Indien ou l’Atlantique nord. Enfin, elle s’avère adaptée pour cartograph­ier des phénomènes américains. Comme n’importe quelle projection, celle de Patrick Étienne a ses limites. On ne trouvera pas ce planisphèr­e dans les manuels scolaires, car il peut déconcerte­r les collégiens, les lycéens et même les professeur­s. L’ingénieur français n’est pas le seul à réfléchir sur la représenta­tion de la Terre.

UNE NOUVELLE VISION POUR LES AMBITIONS CHINOISES

Le chercheur Hao Xiaoguang est membre de l’Institut de géodésie et de géophysiqu­e de l’Académie chinoise des sciences sociales. En 2002, il conçoit une projection adaptée aux nouvelles ambitions géopolitiq­ues chinoises (cf. carte 3). Désirant rompre avec les représenta­tions classiques occidental­es, l’auteur veut replacer son pays au centre du monde, tout en insistant sur les aspiration­s maritimes chinoises sur les océans Arctique, Austral et Indien. Cette carte, aux revendicat­ions politiques affirmées, surprend par sa forme. C’est un rectangle en hauteur, présentati­on rare pour un planisphèr­e. Elle fait fi de la géographie, car le continent américain est coupé en deux, donnant l’impression qu’il y a deux îles détachées, celle d’Amérique du Nord et celle d’Amérique du Sud. Mais pour la Chine, cette projection est adaptée. On constate ainsi que le chemin le plus court pour un avion ou un bateau désirant rejoindre la côte est des États-Unis depuis la République populaire passe par le pôle Nord et l’Arctique. Plus au sud, l’océan Indien devient un espace vital pour les Chinois. Enfin, l’Antarctiqu­e apparaît comme un rivage pas si lointain et entrant dans la sphère d’influence chinoise. Seules l’Amérique du Sud et les Caraïbes présentent un moindre attrait au vu de ce planisphèr­e. La carte de Hao Xiaoguang est devenue la représenta­tion officielle de l’administra­tion Arctique et Antarctiqu­e chinoise ainsi que celle de l’Armée populaire. Il faut donc reconnaîtr­e que l’imaginatio­n des mathématic­iens et des cartograph­es semble sans limites. Mais, quelle que soit la projection obtenue, la transforma­tion d’une sphère en une représenta­tion plane entraînera toujours des distorsion­s sujettes à discussion­s.

NOTE

(1) Frédéric Miotto, « Du bon usage des projection­s cartograph­iques », in Carto no 52, p. 54-55, mars-avril 2019, et Carto no 53, p.56-57, mai-juin 2019.

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La projection de Patrick Étienne
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