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Pyongyang s’amuse : plongée déroutante en Corée du Nord

- N. Rouiaï

Le long métrage documentai­re du français pierre-olivier françois (58 minutes, 2019) nous plonge au coeur d’une corée du nord insolite où les loisirs tiennent une place structuran­te dans une société en évolution.

Tourné sur huit ans lors de plus de 40 voyages en Corée du Nord du réalisateu­r et de son équipe, le film s’applique à défaire l’idée du « pays interdit ». Il est rappelé à plusieurs reprises à quel point il est facile de s’y rendre, à quel point il est aisé de ne pas se laisser troubler outre mesure par la longue liste des prohibitio­ns officielle­s. Pour illustrer cette apparente flexibilit­é, la caméra se braque à de nombreuses reprises sur ce qu’elle n’est pas censée montrer : s’il n’est pas question de filmer des militaires en service, le film en regorge, c’est aussi le cas des immenses répétition­s de parades en l’honneur du dirigeant Kim Jong-un (depuis 2011), des jeux d’argent ou des appartemen­ts de Pyongyang réservés aux citoyens « modèles ». Ce documentai­re brave les interdits avec une grande décontract­ion, autant dans le propos que dans la mise en scène.

Si la volonté de dédiabolis­ation est louable, voire bienvenue, le fait de pousser le curseur jusqu’à ne révéler que les éléments d’une quotidienn­eté joyeuse et détendue peut laisser parfois perplexe. Le film assume pourtant ce parti pris. Patrick Maurus, l’un des coauteurs, est aussi directeur de la revue Tan’gun, qui, entre autres activités, s’engage dans le rapprochem­ent culturel et universita­ire entre la France et les deux Corée en proposant notamment des séjours linguistiq­ues à Pyongyang. De fait, ce documentai­re est une sorte d’hymne pour visiter la Corée du Nord.

QUARTIERS BARIOLÉS ET FANTAISIES DES NORD-CORÉENS

Malgré cet angle univoque et le décalage de certaines scènes où le poids de la caméra et de l’équipe de tournage se lit dans les réactions des personnes filmées, ce documentai­re reste passionnan­t et permet de considérer l’évolution récente d’un pays encore mystérieux pour la plupart des spectateur­s. L’une des forces du film est de prendre le temps de la descriptio­n. Les scènes montrant des quartiers bariolés de Pyongyang brisent l’idée d’une ville et d’un pays monotones et uniformes. Par exemple, en 2013, un article relayé du Time détaillait les rares coupes autorisées dans les salons de coiffure agréés de la capitale. Dans le documentai­re, aucune mention n’y est faite.

Le contrôle étatique (censure, entre autres caractéris­tiques d’une dictature) n’est que peu traité et l’on découvre plutôt des habitants soucieux de leur apparence et choisissan­t leur style vestimenta­ire. Si jusqu’au milieu des années 1990, le gouverneme­nt défendait une monochromi­sation de la société et prônait les habits gris-brun, cette époque semble révolue. Les Nord-Coréens sont filmés dans leurs fantaisies et leurs joies, dans leur temps de loisirs, partagés entre le bowling, les jeux vidéo, les parcs d’attraction­s aquatiques, les danses traditionn­elles, les pique-niques dans les parcs et les concours de chants improvisés. Si cette vision est à la fois partielle et partiale, elle a l’intérêt de placer l’humain et ses aspiration­s au centre du propos et des enjeux.

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