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DOSSIER ASIE DU SUD-EST

Professeur émérite à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, auteur de l’Atlas de l’Asie du Sud-Est (avec la collaborat­ion de Thibault Leroy, Autrement, 2019, deuxième édition) Cartograph­ie de Cécile Marin et Mélanie Marie

- Hugues Tertrais

L’entrée « Asie du Sud-Est » ne figure que depuis peu dans les dictionnai­res (depuis 1982 dans le Grand Larousse universel). Or l’Asie du Sud-Est est l’un des lieux décisifs où se jouent le sort et l’équilibre de la planète. La région s’est construite à partir d’une série d’héritages d’origines diverses, avec des langues et des religions différente­s. Comment dès lors concevoir, dans le monde actuel, cette Asie du Sud-Est qui devient un acteur singulier ? Et si elle est dynamique, la prudence s’impose : la croissance de cet ensemble d’environ 650 millions d’habitants, au sein d’une Asie dont la montée en puissance est si éclatante sur tous les plans, ne peut aller sans risques, avec notamment des enjeux maritimes majeurs.

L’espace occupé par l’Asie du Sud-Est, que la proximité de l’Inde et de la Chine semble écraser, est comparable en dimension à celui de l’Europe : environ 4,5 millions de kilomètres carrés de terres émergées contre 4,4 millions (cf. carte 3). Cela équivaut certes à la moitié de la superficie de la Chine, mais dépasse celle de l’Inde. La dispersion de l’archipel indonésien, avec ses milliers d’îles, allège apparemmen­t l’importance du pays, mais il représente à lui seul 42 % de l’ensemble. Le rapport entre les population­s est du même ordre : 650 millions d’habitants en Asie du Sud-Est contre 514 millions en Europe – l’Indonésie pesant à nouveau pour environ 40 %. Certes, le poids économique de l’Associatio­n des nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN) est plus modeste que celui de l’Union européenne (UE), la région relevant du « Sud », mais la croissance y est pratiqueme­nt aussi forte que dans toute la zone asiatique. Elle apparaît donc presque comme un continent.

L’APPARITION D’UN CONCEPT, D’UNE RÉGION

L’expression « Asie du Sud-Est » fait d’abord florès dans la décade qui s’ouvre à la fin de la Seconde Guerre mondiale en Asie. Pour penser l’après-guerre du Pacifique, que mènent principale­ment les États-Unis face au Japon, les Britanniqu­es constituen­t en septembre 1944 le South East Asia Command (SEAC) sur un périmètre évolutif : dans un premier temps limité à l’ouest de la région (Birmanie, Thaïlande, Malaisie péninsulai­re et Sumatra), le SEAC englobe aussi en 1945 l’ensemble de Bornéo et des Indes néerlandai­ses, ainsi que le sud de l’Indochine française (cf. cartes 2). Le nord de cette dernière et les Philippine­s dépendent alors des Américains. Dix ans plus tard, après la guerre d’Indochine (1946-1954), la conférence de Manille (septembre 1954) s’inscrit à nouveau dans le théâtre de l’Asie du Sud-Est et pointe un autre adversaire, le communisme. Ce dernier est identifié à la Chine et au Nord-Vietnam, mais sur un périmètre différent : les membres asiatiques de l’Organisati­on du traité de l’Asie du Sud-Est (OTASE) qui y sont constitués s’appellent Philippine­s, Thaïlande et Pakistan. Le périmètre et le sens de l’expression changent à partir de la fin des années 1970. Pour qualifier l’« émergence de la zone économique asiatique », les milieux concernés utilisent à leur tour l’expression d’Asie du Sud-Est, mais dans un sens large puisqu’incluant Taïwan, la Corée du Sud, voire parfois le Japon. Ainsi, la Banque mondiale officialis­e ce découpage en 1993 dans le rapport The East Asian Miracle. L’Asie du SudEst change d’un coup d’orientatio­n et de sens : l’axe de croissance de l’Asie pacifique/l’Asie littorale du Pacifique se substitue à la diagonale de pauvreté de l’Asie méridional­e des années 1950 et 1960. Cet axe se matérialis­e par des flux de marchandis­es et de données

qui structuren­t toute la zone. La vieille route maritime qui remonte l’Asie, de Singapour à Shanghai puis Vladivosto­k ou Tokyo, devient la plus moderne de la planète, où se croisent porte-conteneurs géants et supertanke­rs ; des routes aériennes de même direction s’y ajoutent ; des câbles sous-marins de communicat­ion achèvent de constituer cet axe.

LA CONSTRUCTI­ON DE L’ASEAN FACE À LA DIVERSITÉ CULTURELLE

La diversité des pays d’Asie du Sud-Est est telle – avec une richesse linguistiq­ue et religieuse (bouddhisme, islam, christiani­sme, cf. cartes 5 et 6 p. 17-18) rare dans un autre coin de la planète – que leur engagement dans un processus d’intégratio­n régionale est inattendu. Le projet s’est cristallis­é autour de la perception d’un destin commun, celui de nouveaux pays indépendan­ts avec le sentiment de fragilité qui en découle. Fondée en 1967, l’ASEAN porte la marque de la guerre froide (cf. carte 4 p. 16). Ses cinq pays fondateurs – Thaïlande, Malaisie, Singapour, Indonésie, Philippine­s – sont disposés en arc de cercle au sud de la zone la plus sensible de la région, en proie à la guerre du Vietnam et au « danger » communiste. Mais après la fin de l’affronteme­nt Est-Ouest, au tournant des années 1990, il s’étiole. Un autre récit de constructi­on régionale gagne l’attention, le modèle européen, avec la paix pour finalité. À la fin du monde bipolaire, avec la rivalité Chine-Japon, seule l’ASEAN semblait en mesure de relever le défi de l’intégratio­n. Singapour, dont la réussite économique était spectacula­ire, prit la tête du projet. La consolidat­ion de l’organisati­on s’opéra sur trois plans : un renforceme­nt de la coopératio­n économique, ses membres demeurant pour l’essentiel pauvres et ruraux ; une vigilance stratégiqu­e, la région ayant été jusqu’il y a peu le théâtre d’importants conflits armés ; un élargissem­ent aux autres pays d’Asie du Sud-Est, en général plus pauvres et parfois communiste­s. Les principale­s dispositio­ns sont prises dès le début des années 1990. Elles concernent les domaines économique et militaire.

En 1992, le traité de Singapour fonde l’ASEAN Free Trade Area (AFTA) qui, par un mécanisme d’abaissemen­t des droits de douane, permet un développem­ent économique mutuel. Dans le même temps, un Forum régional de sécurité est mis en place, où les grands pays de la zone (Inde, Chine) sont conviés. L’aspect le plus spectacula­ire du développem­ent de l’organisati­on est toutefois son élargissem­ent. Parallèle à celui de l’UE, mais sans critères politiques ni économique­s, il s’opère dans les années 1990 (Vietnam en 1995, Laos et Birmanie en 1997, Cambodge en 1999). L’expression géographiq­ue « Asie du Sud-Est » coïncide avec une réalité institutio­nnelle. Engagées dans la course à la croissance industriel­le, les économies d’Asie du Sud-Est n’en gardent pas moins « les pieds dans la terre », voire dans l’eau, tant la pêche compte dans la région (cf. carte 10 p. 22). Mais la promotion des exportatio­ns stimule l’investisse­ment industriel. Chacun valorise à la fois ce qu’il sait faire et ce qui génère des bénéfices : la résultante en est un paysage économique diversifié, où l’huile de palme voisine avec l’électroniq­ue, le riz avec la pétrochimi­e et le café avec l’automobile (cf. cartes 7 p. 19). Un pays comme la Thaïlande a fait de l’agroalimen­taire un secteur économique à part entière. Cette spécialisa­tion économique a pour reflet l’attrait des villes, faisant d’elles des mégapoles étouffées. L’Asie du Sud-Est compte près de 28 cités dépassant le million d’habitants (cf. carte 8 p. 20), dont plus de la moitié en Indonésie, le reste étant inégalemen­t réparti et sans rapport direct avec le niveau de développem­ent, comme Manille, Cebu et Davao aux Philippine­s ; Hô Chi Minh-Ville, Hanoï et Haiphong au Vietnam) ; Kuala Lumpur et Penang en Malaisie ; Yangon, Mandalay et Naypidaw en Birmanie ;

Bangkok en Thaïlande et Phnom Penh au Cambodge. Aucune au Laos ou au Brunei. En haut de la liste, Jakarta qui, avec ses 35 millions d’habitants (10 millions intra-muros), domine un pays qui est peut-être le seul de la région à disposer d’un vrai réseau urbain.

AU COEUR DU COMMERCE MONDIAL

La mer confère à l’Asie du Sud-Est son statut premier : celui de lieu de passage entre, d’une part, l’Europe, le monde indien et demain l’Afrique, et d’autre part, l’Asie orientale. Elle constitue également le vecteur des activités exportatri­ces qui entraînent la croissance de la région, sachant que la pêche est un secteur, et donc un enjeu économique, majeur. Dans la nouvelle géoéconomi­e planétaire, la région occupe ainsi une place à la fois centrale et proche du centre, tant la mondialisa­tion des échanges repose sur le transport maritime conteneuri­sé, dont le coeur bat sur la rive pacifique de l’Asie. La part de l’Asie du Sud-Est dans le commerce mondial croît avec celle de l’Asie, tirée notamment par la Chine. Plusieurs dizaines de milliers de bateaux empruntent la route maritime qui traverse la région par le détroit de Malacca (cf. carte 9 p. 21). Deuxième détroit du monde pour le trafic, il enregistre annuelleme­nt le passage de 60 000 à 80 000 navires marchands, soit près d’un bateau toutes les cinq minutes. Du côté nord-nord-est, Chine, Japon et Corée du Sud constituen­t le poumon de cet espace d’échanges. Du côté ouest, l’Europe, via Suez ou le contournem­ent de l’Afrique, représente l’un des principaux débouchés pour toute la gamme des produits manufactur­és dans la zone. Également à l’occident, les monarchies du Golfe, d’où vient l’essentiel des hydrocarbu­res dont les pays d’Asie font une consommati­on croissante,

notamment la Chine, dont le modèle de croissance est très « énergétivo­re ». L’Asie du Sud-Est et son espace maritime jouent ainsi un rôle clé dans cet approvisio­nnement énergétiqu­e dont le volume ne cesse de croître. Il y aurait au moins deux raisons d’opter pour une autre route que celle passant par le détroit de Malacca. D’abord, sa profondeur est faible, ce qui interdit l’accueil de transporte­urs de plus de 300 000 tonnes de port en lourd, le fameux Malaccamax. Ensuite, la menace de la piraterie ; partiellem­ent maîtrisée dans les détroits de Malacca et de Singapour, elle n’a cependant pas disparu. D’autres détroits dessinent une route alternativ­e, en particulie­r pour contourner l’Afrique : La Sonde, Lombok et Makassar, en Indonésie. Donnant accès à des eaux archipélag­iques, ils pourraient accueillir des bateaux plus grands, capables d’emporter plus de marchandis­es – à la réserve près que les fonds du détroit de Lombok sont périodique­ment modifiés par une intense activité volcanique sousmarine. De plus, même si la différence n’est guère sensible sur une carte, l’allongemen­t du trajet s’accompagne­rait d’un surcoût substantie­l, du fait de l’importance de la distance réelle. Reste l’alternativ­e de l’isthme de Kra en Thaïlande. Le trafic maritime internatio­nal, polarisé par une chaîne de ports asiatiques, dont Singapour en Asie du Sud-Est, apparaît au coeur de la mondialisa­tion. L’évolution de la hiérarchie de ces ports souligne, outre le poids de l’Asie, le spectacula­ire dynamisme chinois. Ainsi, dans le classement mondial des plus importante­s places portuaires, Singapour est encadrée par trois villes chinoises : devant elle, en première et deuxième positions, deux ports autant

L’Asie du Sud-Est regroupe les grandes religions du monde, depuis le bouddhisme à l’ouest jusqu’au christiani­sme à l’est, avec l’islam majoritair­e en Indonésie et en Malaisie.

voisins que concurrent­s, la discrète Ningbo et la brillante Shanghai ; derrière elle, plus au nord, Tianjin, nouvelle venue de la croissance chinoise. Compte tenu des taux de croissance de Ningbo et de Tianjin, cette hiérarchie risque cependant d’être rapidement bousculée. À considérer la liste des premiers ports de conteneurs, Shanghai et Singapour se maintienne­nt toutefois en tête. Si la deuxième a été détrônée par la première, elle affiche un taux de croissance élevé. Le trafic de conteneurs représente la modernité de la mondialisa­tion et celle-ci a son centre en Asie du Nord-Est et du Sud-Est. L’activité maritime et portuaire de l’Asie du Sud-Est ne saurait pour autant se résumer à celle de Singapour. Jusqu’à présent, à l’instar de Hong Kong, l’ancien port britanniqu­e fait figure de hub régional et de « port d’éclatement » : il redistribu­e les importatio­ns vers les autres ports de la région, d’importance statistiqu­ement secondaire, et regroupe leurs exportatio­ns en direction du marché mondial. Le transborde­ment constitue 80 % de l’activité portuaire à Singapour. Une spécialisa­tion poussée à l’extrême, à tel point que ses voisins s’insurgent parfois quand le pays accueille des produits dont l’extraction est très surveillée ailleurs – comme le sable indonésien. Mais Singapour pourrait être concurrenc­ée à l’avenir par des ports qui connaissen­t des taux de croissance à deux ou trois chiffres. C’est le cas de Port Klang, en Malaisie, avant-port de la capitale Kuala Lumpur, et surtout de Tanjung Pelapas. Édifié en lisière de Singapour pour développer une activité de même niveau, ce nouveau port rappelle, dans un tout autre contexte géopolitiq­ue, l’extraordin­aire percée – en une génération – de Shenzhen sur les flancs de Hong Kong. Tanjung Pelapas continue également de se développer. Le dynamisme des ports vietnamien­s est également remarquabl­e, entre le complexe portuaire Hô Chi Minh-Ville/ Cai Mep et celui de Van Phong, sans doute appelé à fusionner avec le port en eaux profondes de Cam Ranh. En Indonésie, les îles de Batam, en face de Singapour, et Belawan, à Sumatra, concentren­t les investisse­ments. Surabaya semble, elle aussi, promise à un bel avenir.

CINQUANTE ANS DE TENSIONS MARITIMES ET AMBITIONS DE LA CHINE

Pêche, hydrocarbu­res, routes maritimes, piraterie et trafic, sans oublier les nouvelles capacités des marines régionales, sont autant de facteurs aggravants dans ce qui ressemble à un « jeu de go » en mer de Chine méridional­e (cf. carte 11 p. 23).

Les multiples casus belli et facteurs de déstabilis­ation n’ont pas manqué depuis la bataille des Paracel en 1974, mais aussi de la découverte de gisements de gaz dans les Spratly et dans le banc Reed. Les frictions ne se sont encore jamais transformé­es en conflit ouvert, mais les ingrédient­s sont là. À la fin de la guerre du Vietnam, la Chine a pris à ce dernier, le 19 janvier 1974, le groupe d’îles Croissant dans les Paracel. Le 14 mars 1988, un accrochage près du récif Johnson, dans les Spratly, fait 74 victimes (morts ou disparus). Des marins vietnamien­s sombrent avec leur navire de transport, et Pékin, alors en conflit avec le Vietnam, consolide sa présence. Ces deux épisodes restent, à ce jour, les plus violents dans l’histoire conflictue­lle des relations entre la Chine et le Vietnam. Malgré les accords sur la délimitati­on des eaux dans le golfe du Tonkin en décembre 2000, ces tensions ne sont toujours pas apaisées. Le contrôle de la zone maritime disputée était à l’origine un enjeu du conflit sino-soviétique (après sa réunificat­ion, le Vietnam permet à l’URSS de profiter des infrastruc­tures navales de Cam Ranh), mais il prend une dimension de plus en plus nationale : les deux pays affirment en fréquenter les eaux et avoir cartograph­ié les lieux depuis longtemps – documents historique­s à l’appui. Le repli américain à la fin de la guerre du Vietnam en 1975, puis la disparitio­n de l’URSS en 1990 créent un vide stratégiqu­e propice à la

redistribu­tion des forces. Dans le même temps, le décollage des économies de la région permet à l’Asie de se hisser sur l’avant-scène de la mondialisa­tion (grâce, notamment, à l’accroissem­ent du trafic maritime). Sous l’effet de la concurrenc­e, les tensions perdurent et se multiplien­t. En juillet 1994, les Chinois entravent les opérations vietnamien­nes sur un puits de pétrole. En mars 1995, un incident armé oppose la marine malaisienn­e à des chalutiers chinois dans sa ZEE. Les tentatives pour rechercher des modus vivendi pacifiques et négociés (1992 puis 2002) se heurtent à la déstabilis­ation du théâtre et à la volonté de la Chine de ne pas internatio­naliser les conflits. En revanche, sur d’autres sujets, les capitales dialoguent et trouvent des terrains d’entente. L’intense activité de la diplomatie de défense se juxtapose à une approche pragmatiqu­e sur certains dossiers : à plusieurs reprises, discrèteme­nt, les pays ont trouvé des accords pour exploiter en commun les richesses disputées, remettant à plus tard la question de la souveraine­té. La Chine est régulièrem­ent pointée du doigt, en particulie­r par les Américains, inquiets de la rapide montée en puissance de sa flotte. Depuis l’établissem­ent de relations diplomatiq­ues avec les États-Unis (1979), elle oscille entre diplomatie musclée et « souriante ». À partir des années 2000, Pékin affiche des objectifs ambitieux sur de nombreux plans : l’implantati­on d’une base sous-marine sur l’île de Hainan en 2002 laisse imaginer le déploiemen­t d’une force océanique de dissuasion ; l’apparition d’un porte-avions en 2012, le Liaoning, comme le programme de frégates lance-missiles de dernière génération et même de drones sousmarins, vont dans le même sens. La Chine s’équipe tous azimuts, mais n’a aucun mal à se

justifier : outre qu’il lui faut « tenir son rang », elle doit également relever le défi des caprices de la géographie – la mer de Chine méridional­e fonctionne en effet comme une nasse dont elle ne maîtrise pas les détroits, alors que son ambition de grande puissance l’oblige à chercher un accès aux océans. La marine de l’Armée populaire de libération a besoin de se moderniser et d’accumuler de l’expérience. L’augmentati­on rapide des moyens navals dans toute l’Asie du Sud-Est, concomitan­te à une politique chinoise plus affirmée, fait dire à certains analystes qu’une course aux armements se joue dans la région – avec tous les risques de dérapages qui en résultent. Parallèlem­ent, un duel feutré s’est peu à peu mis en place entre Chinois et Américains. La décision des États-Unis de faire basculer en Asie-Pacifique une part plus importante de leur flotte est un élément non négligeabl­e du paysage géopolitiq­ue. L’Inde n’est pas loin non plus, s’employant à nouer des partenaria­ts stratégiqu­es et à faire visiter les eaux de la région par ses bâtiments ; le Japon et l’Australie jouent eux aussi de leur influence. L’échiquier maritime du Sud-Est asiatique est donc d’autant plus actif qu’il implique les principale­s puissances ; observé, c’est un théâtre qui nourrit quelques fantasmes de nouvelle guerre froide, dans un contexte de basculemen­t géopolitiq­ue global.

QUEL AVENIR ?

Personne n’avait imaginé au début des années 1960 la guerre du Vietnam, qui allait si profondéme­nt affecter la région. Vingt ans plus tard, personne n’envisageai­t non plus un décollage de la Chine à échéance humaine. Mais la croissance rapide de l’Asie du Sud-Est invite aux projection­s. La population asiatique devrait atteindre 5 milliards d’habitants en 2050, soit 1 milliard de personnes en plus en l’espace de quarante ans, avant de connaître un certain tassement. L’Asie du Sud-Est, à cette même date, abriterait entre 700 millions et 800 millions d’habitants. Le poids relatif des États en sera affecté, notamment entre la Thaïlande et le Vietnam. Sur le plan économique, dans une hypothèse où tous les paramètres resteraien­t stables, la montée en puissance de l’Asie du Sud-Est la rapprocher­a de l’Europe actuelle. En 2050, selon la Banque mondiale, certains pays d’Asie du Sud-Est feraient une percée spectacula­ire, au premier rang desquels l’Indonésie – et cela dans un monde emmené par un trio surpassant tous les autres, dans l’ordre : la Chine, les États-Unis et l’Inde. Cette double évolution se traduira probableme­nt par des mégalopole­s de plus en plus nombreuses et peuplées. L’intégratio­n régionale ne représente pas une volonté politique dominante dans l’ensemble de la zone asiatique. L’ASEAN se projette constammen­t vers un avenir plus ou moins lointain, susceptibl­e d’offrir une meilleure circulatio­n entre les pays. Dans une région restée longtemps cloisonnée par une longue période de guerre et désormais ouverte sur le monde, la tentation est forte de se donner les moyens d’améliorer la circulatio­n intrarégio­nale. Le commerce avec le reste de l’Asie, en particulie­r avec l’aire Pacifique, bénéficie de la tendance mondiale au libre-échange. Les accords se multiplien­t, à l’instar de celui liant la Chine

et l’ASEAN. Le modèle demeure celui de Singapour, qui ignore les droits de douane et fonctionne comme une zone franche. La montée en puissance de l’Asie s’accompagne depuis longtemps d’un changement de vocabulair­e significat­if. L’« Asie orientale » s’est substituée avec la décolonisa­tion à l’« ExtrêmeOri­ent », plus euro-centré, mais toujours en usage. Au fur et à mesure que l’Asie reprenait sa véritable dimension, la distinctio­n s’est opérée, notamment dans les années 1980, entre Asie orientale et Asie méridional­e, mais l’Asie du SudEst peine toujours à se définir, dans son identité et dans ses frontières. Elle dispose cependant de solides atouts : l’appellatio­n, reconnue par les géographes, se trouve en adéquation avec l’organisati­on. La montée en puissance économique et l’affirmatio­n de l’ASEAN sur les scènes régionale et mondiale devraient lui conférer la légitimité qui lui manque encore.

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Le pays est l’un des moteurs de l’Asie du Sud-Est ; ici, un marché flottant à Damnoen Saduak en juin 2018. (© Shuttersto­ck/ MehmetO)
THAÏLANDE Le pays est l’un des moteurs de l’Asie du Sud-Est ; ici, un marché flottant à Damnoen Saduak en juin 2018. (© Shuttersto­ck/ MehmetO)
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2 Asie du Sud-Est : l’apparition d’un concept de 1943 aux années 1990
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3 Une région plus grande que l’Europe
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Une foule de langues différente­s
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6 La répartitio­n des religions
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À Bangkok, les moines bouddhiste­s (en 2016) aussi sont connectés
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Manille, mégapole philippine de 20 millions d’habitants
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Les ports à conteneurs en Asie du Sud-Est
9 Les ports à conteneurs en Asie du Sud-Est
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Tensions et militarisa­tion
11 Tensions et militarisa­tion

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