Biélorussie : un « niet » à l’union avec la Russie
La Russie et la Biélorussie ont célébré, le 8 décembre 2019, les vingt ans du traité instituant l’union entre les deux pays, qui prévoit, à terme, la création d’un seul État sous la forme d’une confédération. Pourtant, les tensions entre Minsk et Moscou, malgré les nombreuses rencontres bilatérales entre les présidents Alexandre Loukachenko et Vladimir Poutine, mettent en échec les tentatives d’unification.
Pays plutôt méconnu d’Europe orientale, la Biélorussie est pourtant attenante à l’Union européenne (UE), avec qui elle partage plus de 1 000 kilomètres de frontière commune (avec la Lettonie, la Lituanie et la Pologne) depuis l’élargissement de 2004. Si elle fait partie de la Politique européenne de voisinage, ses relations sont plus tournées vers la Fédération de Russie. Vue d’Europe de l’Ouest, la Biélorussie est souvent décrite comme la « dernière dictature d’Europe » ou le « dernier Soviétistan ». Vue de Russie, la Biélorussie, l’une des quinze anciennes républiques soviétiques devenues indépendantes en 1991, est généralement perçue comme le « petit frère du peuple russe » ou le « fidèle allié » au sein de la Communauté des États indépendants (CEI), fondée en décembre 1991 sur les cendres de l’URSS pour maintenir un lien politico-militaire et économique privilégié entre les anciennes républiques soviétiques.
UNE RÉCENTE ACCESSION À LA SOUVERAINETÉ
Avec 9,45 millions d’habitants en 2019 pour 207 600 kilomètres carrés, la Biélorussie est l’un des pays les moins densément peuplés d’Europe avec 45 personnes par kilomètre carré. Incorporé au sein du Grand-duché de Lituanie puis à la République polonolituanienne à partir de 1569, le territoire biélorusse est progressivement annexé par l’Empire russe entre 1772 et 1808, puis russifié durant le XIXe siècle. La Biélorussie est divisée en deux à l’issue de la Première Guerre mondiale par le traité de Riga (18 mars 1921) : la partie orientale devient république soviétique, tandis que la partie occidentale est intégrée à la République de Pologne. Couverte à plus de 40% de forêts et de marécages, favorisant les opérations de résistance des partisans face à l’envahisseur nazi de 1941 à 1944, la Biélorussie est fortement affectée durant la Seconde Guerre mondiale avec des destructions de villes et de villages et de nombreuses victimes civiles (environ 1,7 million), auxquelles s’ajoutent 600 000 soldats biélorusses tués, soit plus d’un quart de la population totale. L’importante population juive du pays – près de 800 000 personnes – est presque entièrement décimée par les Einsatzgruppen, les unités de police militarisées du IIIe Reich. Les frontières de la République soviétique de la Biélorussie sont remodelées par les Alliés à l’issue de la guerre en faveur des vainqueurs soviétiques qui les décalent vers l’ouest tout comme celles de la Pologne. Le pays accède à l’indépendance le 25 août 1991, le lendemain de l’Ukraine. Des élections libres le 10 juillet 1994 portent à la présidence Alexandre Loukachenko (né en 1954), ancien directeur de sovkhoze (ferme d’État soviétique), après une campagne menée tambour battant sur le thème de la lutte anticorruption. Il s’applique dès lors à mettre en place un régime autoritaire et fonde sa légitimité sur un culte exacerbé de la personnalité et sur la filiation avec la période soviétique, tout en réprimant sévèrement toutes formes de contestation (arrestations,
perquisitions, interrogatoires, voire disparitions de certains opposants politiques). Ce système permet à Alexandre Loukachenko de se faire réélire à quatre reprises avec des scores oscillant entre 75 et 85 % des voix dans des scrutins qui ne sont pas reconnus par les institutions européennes. La Biélorussie est d’ailleurs le seul pays d’Europe centrale et orientale à n’avoir jamais pu adhérer au Conseil de l’Europe malgré une demande en 1993, celle-ci ayant été gelée par l’institution depuis 1997. C’est donc le seul pays européen à ne pas avoir ratifié la Convention européenne des Droits de l’homme et à appliquer la peine de mort.
L’UNION RUSSIE-BIÉLORUSSIE : UN ENLISEMENT
La part du secteur privé dans l’économie biélorusse n’est que de 15 %. L’économie est administrée par une organisation centralisée et étatisée qui gère l’immense majorité de la production industrielle et agricole. Plus de la moitié des échanges commerciaux de la Biélorussie se font avec la Russie, qui est de loin son principal partenaire. Fer de lance du rapprochement postsoviétique avec la Russie, Alexandre Loukachenko signe en décembre 1999 avec son homologue russe de l’époque, Boris Eltsine (1991-1999), un traité sur la création de l’« Union de la Russie et de la Biélorussie ». L’idée est de créer une confédération intergouvernementale disposant d’institutions politiques (assemblée, conseil des ministres, comité exécutif), d’une union douanière et d’une monnaie commune. Malgré ces objectifs ambitieux, les négociations avec Vladimir Poutine s’enlisent ensuite durant deux décennies, chacun s’arc-boutant sur sa souveraineté : la Russie, par son poids géopolitique, économique et démographique, refuse d’être traitée sur un pied d’égalité de droits et de votes avec la Biélorussie comme le prévoyaient les accords, et cette dernière craint d’être phagocytée par Moscou. Si plusieurs rencontres ont eu lieu en 2019 entre les deux dirigeants pour relancer le projet d’union, la Russie a suspendu en décembre ses livraisons de pétrole en décembre à son voisin, rappelant que l’enlisement est de mise.