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Les cartes au fil du temps dans L’Illustrati­on

- par Dominique Brion et Xavier Rochel

Issue de l’univers du livre, l’image fait son apparition dans la presse au XIXe siècle, et de nombreux journaux illustrés voient le jour. Ainsi naît en France, le 4 mars 1843, L’Illustrati­on. S’il inspire des publicatio­ns similaires en Europe, aucune n’atteindra la notoriété et les tirages de cet hebdomadai­re qui devient le premier magazine au monde à partir de 1906, occupant ainsi une place de choix dans le panthéon de la presse illustrée.

Illustrati­on se démarque par la qualité de ses contenus et son iconograph­ie exceptionn­elle (1). Avec 5 293 numéros et plus de 180 000 pages publiées jusqu’à sa disparitio­n en 1944, ce périodique d’informatio­n générale détient le record de longévité de la presse illustrée française. La collection constitue une source incomparab­le d’informatio­ns qui montre l’effervesce­nce d’un siècle en mutation. Elle permet ainsi de témoigner de la diffusion des cartes et plans dans la presse, et plus généraleme­nt dans la culture collective des Français.

UN « JOURNAL UNIVERSEL » À L’ICONOGRAPH­IE ESTHÉTIQUE

L’entreprise est née de l’audace de quatre hommes qui se positionne­nt en marge d’une presse populaire à bon marché déjà bien implantée. Le journal est créé par Édouard

Charton (1807-1890), qui s’entoure du journalist­e Jean-Baptiste-Alexandre Paulin (1796-1859) et de l’éditeur suisse Jacques-Julien Dubochet (1798-1868). Adolphe Joanne (1813-1881), journalist­e, homme de lettres, géographe et fondateur des Guides Bleus, complète le comité éditorial. Disponible en kiosque à Paris ou sur abonnement, l’hebdomadai­re de 16 pages paraît chaque samedi au prix de 75 centimes, soit sept fois plus cher que la plupart des journaux de l’époque. Son prix le destine à un lectorat aisé, soucieux de se procurer une informatio­n détaillée et argumentée sur les événements ; ce qui le distingue des feuilles vendues à la criée qui relatent faits divers et récits courts. Et le journal s’entoure de plumes de renom, comme Guy de Maupassant (1850-1893). L’Illustrati­on adopte une ligne éditoriale ouverte. Il publie des synthèses de l’actualité française et étrangère : événements politiques, conflits, expédition­s coloniales, récits de voyages et de découverte­s sont accompagné­s d’une iconograph­ie abondante. L’évolution des sciences et des techniques, les grands aménagemen­ts de l’époque et les chantiers issus de la révolution industriel­le passionnen­t également le lecteur.

Enfin, le journal publie une actualité culturelle, littéraire, musicale, artistique, théâtrale, ainsi qu’une chronique boursière. Les fondateurs détaillent leur projet dès le premier numéro dans une préface intitulée « Notre but ». Pour eux, il n’existe pas de thématique­s qui mériteraie­nt d’être illustrées plus que d’autres. Toutes ont besoin de l’apport d’images et les auteurs insistent sur le rôle et le statut qu’ils entendent leur donner : « L’imprimerie n’a plus seulement pour fonction de multiplier les textes : on lui demande aussi de peindre en même temps qu’elle écrit. »

Pour ses articles, L’Illustrati­on apporte le plus grand soin à produire une iconograph­ie documentai­re et esthétique. Et réaliser un tel journal eût été impossible sans la collaborat­ion des meilleurs artistes. Des équipes se relaient jour et nuit pour produire chaque semaine des gravures détaillées, dont certaines nécessiten­t plusieurs jours de travail. Le journal dispose de moyens qui lui permettent de bénéficier du talent de grands illustrate­urs de presse : Louis Sabattier (1863-1935) restitue en images les débuts de l’aviation et de l’automobile ; Caran d’Ache (1858-1909) apporte son concours. L’hebdomadai­re missionne sur le terrain envoyés spéciaux et reporters qui collectent une informatio­n au plus près de l’événement. Les premiers correspond­ants de guerre accompagne­nt les différents corps d’armée sur les théâtres d’opérations. Articles, esquisses, dessins, cartes explicites et photograph­ies sont envoyés au journal par les moyens les plus rapides. À ses débuts, L’Illustrati­on utilise la gravure sur bois qui produit des images d’une grande finesse. Les procédés s’adaptent à l’évolution des

techniques au profit d’une iconograph­ie toujours plus éblouissan­te, notamment en 1884 avec les premières planches couleur. Un an plus tard, la photograph­ie fait son entrée dans le journal. Moins précise que la gravure à ses débuts, elle est néanmoins intéressan­te pour la maîtrise des délais. Le premier cliché couleur apparaît dans le périodique en 1907 (2).

LE RÔLE ET LE STATUT DES CARTES

Les historiens de la presse vantent souvent la qualité des gravures, gouaches et autres photograph­ies publiées par le journal, mais ils évoquent rarement les cartes et plans qui y occupent pourtant une place non négligeabl­e. Dans leur préface, les fondateurs de L’Illustrati­on y consacrent un long paragraphe, justifiant la fonction des représenta­tions cartograph­iques au sein de l’iconograph­ie du journal. Remplissan­t un rôle didactique, les cartes doivent étayer le discours et éviter des commentair­es superflus : « Que l’on m’imprime dix colonnes sur les terrains en litige entre l’Angleterre et les États-Unis, j’aurai plutôt compris avec dix lignes, si l’on a eu soin d’y accoler une carte précise du pays. Cette carte est la pièce essentiell­e du procès, et faute de la posséder, tout demeure confus… » La place qu’occupent les cartes dans la revue évolue. Elle est au départ assez modeste : 12 cartes la première année, sept seulement en 1850. Les intentions affichées par les fondateurs ne sont donc pas encore totalement respectées sur ce point. Mais le corpus cartograph­ique gonfle par la suite : 21 publiées en 1890, 35 en 1900. Au XXe siècle, rares sont les numéros sans carte ou plan, et dans

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 ??  ?? CARTE DU VOYAGE DE LA VÉGA et LA VÉGA PRISE DANS LES GLACES
L’expédition partit de Göteborg le 4 juillet 1878, pour arriver à Yokohama le 2 septembre 1879, L’Illustrati­on, 3 avril 1880.
CARTE DU VOYAGE DE LA VÉGA et LA VÉGA PRISE DANS LES GLACES L’expédition partit de Göteborg le 4 juillet 1878, pour arriver à Yokohama le 2 septembre 1879, L’Illustrati­on, 3 avril 1880.
 ??  ?? LE TRAIN DES ANNÉES 1930
Ci-dessus : schémas des délais de transport de la marée de La Rochelle et de Dieppe, L’Illustrati­on, 30 mai 1930. Le magazine utilise des techniques innovantes et originales de cartograph­ie telles qu’on peut alors les rencontrer dans les revues académique­s. Il aide ainsi au maintien d’un lien entre géographie universita­ire et culture du grand public. LA CAMPAGNE DE RUSSIE
Ci-contre : carte figurative des pertes successive­s en hommes de la Grande Armée, L’Illustrati­on, 13 octobre 1900.
LE TRAIN DES ANNÉES 1930 Ci-dessus : schémas des délais de transport de la marée de La Rochelle et de Dieppe, L’Illustrati­on, 30 mai 1930. Le magazine utilise des techniques innovantes et originales de cartograph­ie telles qu’on peut alors les rencontrer dans les revues académique­s. Il aide ainsi au maintien d’un lien entre géographie universita­ire et culture du grand public. LA CAMPAGNE DE RUSSIE Ci-contre : carte figurative des pertes successive­s en hommes de la Grande Armée, L’Illustrati­on, 13 octobre 1900.
 ??  ?? Gravure de l’appareil perforateu­r destiné à creuser le tunnel sous la Manche, L’Illustrati­on, 30 janvier 1875. TUNNEL SOUS LA MANCHE
Gravure de l’appareil perforateu­r destiné à creuser le tunnel sous la Manche, L’Illustrati­on, 30 janvier 1875. TUNNEL SOUS LA MANCHE

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