L’image qu’on s’en fait : fenêtre ouverte sur la France
implantés le long des autoroutes, de gigantesques panneaux jalonnent le territoire français. ces images incontournables sont des vecteurs de représentations spatiales particulières. fables picturales, ces « panneaux routiers de signalisation d’intérêt culturel et touristique », pour reprendre la qualification officielle, nous disent bien davantage sur nous et sur l’image que l’on se fait de la france que sur la diversité des territoires mis en scène.
Si la fonction première des autoroutes est le transport, des enjeux touristiques sont intervenus dans leur aménagement dès les années 1970, en particulier dans les territoires où l’activité touristique était l’une des principales sources de revenus. Les immenses panneaux marron implantés sur les accotements autoroutiers ont ainsi été installés à partir de 1974 dans le but de rompre la monotonie du trajet et de situer l’automobiliste dans l’espace géographique traversé. En plus de combattre la somnolence au volant, ces signalisations ont pour objectif, dès le départ, de montrer aux automobilistes les richesses culturelles, patrimoniales et économiques du territoire traversé en leur indiquant notamment les monuments et les sites remarquables situés à proximité.
Dans son long métrage documentaire L’image qu’on s’en fait (2019), le Français Seb Coupy braque sa caméra sur cette signalétique si familière et codifiée et révèle la multitude des enjeux qui se cachent entre les bandes blanches et marron de ces vastes panneaux. Non seulement il prend en charge les enjeux esthétiques, sémiologiques et représentationnels, mais il y adosse également une enquête sur les processus de fabrication de ces images. Dès lors, au récit géographique s’agrège une réflexion sociale où la fabrication et l’appréciation des images sont bien plus révélatrices du rapport que l’on entretient au territoire qu’elles ne disent quelque chose du territoire lui-même. Que choisir de représenter ? Que mettre au premier plan ? Qu’omettre ? Que passer sous silence ? Ces questions nous plongent dans une réflexion sur l’autoreprésentation de la France et de ses régions. Les enjeux sémiologiques portés par le Suisse Jean Widmer, dessinateur et inventeur de ces panneaux, sont rapidement abandonnés pour leur préférer ceux culturels et politiques des choix représentationnels opérés par les décideurs locaux. Plongé dans ces discussions politiquement orientées, le spectateur assiste à la fabrication d’un récit patrimonial vecteur d’une identité locale mythifiée. L’une des caractéristiques marquantes de ce récit est la mise en scène d’un patriotisme français assez anachronique. À l’aune de ces panneaux géants, une France des clochers se dessine, dans laquelle les monuments mis en valeur sont le reflet d’un récit historique empreint de désuétude et de nostalgie. Les images mises en scène sont autant de symboles qui, bien qu’ils soient fédérateurs, figent autant spatialement que temporellement. Pourtant, ne nous y trompons pas, la proposition de Seb Coupy est loin du pamphlet. Grâce au choix de la polyphonie, celle des territoires, celle des individualités, celle de la narration, mais aussi celle de la musique et du montage, le réalisateur ouvre le discours et pointe les hésitations à travers la fragmentation. Le propos n’est pas linéaire, pas plus que ne le sont les territoires ou les acteurs de son développement. En nous laissant maîtres de notre propre grille de lecture, en abandonnant toute voix off et en brisant la linéarité du récit, le réalisateur nous invite dès lors à nous penser dans l’espace et à repenser notre espace.