Israël : le cyberespace comme terrain stratégique
Le 9 mai 2020, le réseau informatique du port iranien de Shahid Rajaee, situé dans le golfe d’Ormuz, est victime d’une cyberattaque qui désorganise son trafic maritime. Israël serait à l’origine de cette opération lancée en représailles d’une cyberattaque iranienne les 24 et 25 avril contre des installations de traitement d’eau israéliennes. Quelles sont les capacités de l’État hébreu dans le cyber, domaine dans lequel il figure parmi les leaders mondiaux ?
attaque israélienne contre le port iranien illustre le haut niveau technologique qu’a acquis l’État hébreu dans le secteur du cyber. En quelques années, il est en effet parvenu à développer des outils particulièrement redoutables dans ce domaine, qu’il s’agisse de virus informatiques, de systèmes d’espionnage ou de protocoles en cybersécurité. Quelquesunes de ces opérations en témoignent : le brouillage des systèmes de défense aérienne syriens en 2007 (opération « Orchard »), la diffusion d’un virus informatique endommageant des centrifugeuses iraniennes en 2010 (Stuxnet), la collecte d’informations industrielles sur le programme nucléaire iranien (Duqu en 2011, Flame en 2012, Duqu 2.0 en 2015), ou le piratage du réseau de communication libanais pour nuire aux intérêts du Hezbollah (2017).
À L’ORIGINE DU CYBER ISRAÉLIEN
Le dynamisme du secteur repose sur les efforts du pays en recherche et développement (R&D) : en 2019, 4,3 % du PIB israélien y est consacré, soit la part la plus importante du monde après la Corée du Sud, de 4,5 % (1). Des investissements sont également réalisés dans le système éducatif, ce qui permet à l’État de disposer d’un capital humain hautement qualifié. En 2019, le budget alloué à l’éducation atteint 11,8 milliards de dollars, le double de celui de 2010 (6,9 milliards). En outre, depuis une décennie, les étudiants israéliens s’orientent massivement vers les études scientifiques : plus d’un étudiant sur quatre se consacre aux sciences, à la technologie, à l’ingénierie et aux mathématiques. Dans cette dernière discipline, le nombre d’inscrits a bondi de 80 % en dix ans. Tsahal, l’armée israélienne, est une composante essentielle du développement technologique de l’État hébreu qui permet le transfert de technologies du militaire vers le civil. Dans le domaine du cyber, une unité se distingue particulièrement : la 8200. Ses soldats, formés de manière intensive aux mathématiques, à l’informatique ou aux langages de programmation, y acquièrent de solides compétences pour développer des outils technologiques stratégiques. Et une fois leur service terminé, il n’est pas rare de trouver ces anciens militaires à la tête de start-up innovantes consacrées au développement d’outils cyber. La force du secteur israélien repose donc sur une interaction permanente entre les centres de formation (écoles, instituts, universités), l’État (par le biais de politiques publiques ou de formations spécialisées
au sein de l’armée) et le secteur économique. Cela a permis l’essor d’un pôle de compétitivité (cluster), que l’on qualifie souvent de « Silicon Wadi », en référence à la Silicon Valley californienne – la vallée, en arabe, se dit « wadi ». Celle-ci se concentre principalement dans un rayon de 20 kilomètres autour de Tel-Aviv ; les deux tiers des entreprises high-tech et des centres de formation scientifiques s’y trouvent.
UN OUTIL DE PUISSANCE
Dans le même temps, la doctrine israélienne consiste à développer des outils offensifs pour attaquer, espionner ou perturber des systèmes ennemis, mais aussi des dispositifs défensifs pour protéger son réseau informatique d’attaques qui visent ses entreprises, ses sites ou ses infrastructures stratégiques. Or l’État n’est pas le seul acteur impliqué dans le développement de ces technologies. Des universitaires et des ingénieurs y contribuent également. Au sein de l’université Ben-Gourion du Néguev par exemple, une start-up composée d’ingénieurs, de linguistes et de spécialistes en signal sonore a développé un outil de reconnaissance vocale dans des environnements bruyants, capable de restituer parfaitement les dialogues, quelle que soit la langue, grâce à une intelligence artificielle autonome. Tsahal, ainsi que des acteurs gouvernementaux ou privés étrangers, dont la NSA américaine, y auraient recours. D’autres, moins scrupuleux, n’hésitent pas à vendre leur technologie à des gouvernements répressifs, voire liberticides. C’est notamment le cas du groupe NSO, accusé d’avoir vendu en 2012 son logiciel espion Pegasus au Mexique, qui l’aurait longtemps utilisé pour surveiller des journalistes ou des avocats. D’autres pays comme le Qatar, les Émirats arabes unis, le Mozambique, le Maroc, le Yémen, la Hongrie, le Nigeria ou Bahreïn seraient également des clients de NSO. Les technologies israéliennes s’exportent partout, y compris chez les « ennemis » d’Israël. Pour preuve : en janvier 2020, l’ONU révèle que le téléphone portable du patron d’Amazon, l’Américain Jeff Bezos, aurait été piraté par Pegasus. Selon les experts, le virus aurait été envoyé par l’intermédiaire d’un fichier vidéo qu’aurait reçu l’intéressé de la part d’un de ses contacts… le prince saoudien Mohamed ben Salman. (1) Avec 11,7 milliards de dollars en 2019, les investissements israéliens en R&D représentent toutefois une somme marginale par rapport à ceux des États-Unis (476,5 milliards) ou de la Chine (370 milliards).