Turkish Airlines, vitrine de la « nouvelle Turquie » ?
Le 1er juin 2020, Turkish Airlines a repris ses vols avec l’objectif de participer à la relance de l’industrie touristique mise en difficulté par la crise de la Covid-19. La compagnie s’affiche ainsi comme une vitrine internationale de la Turquie, symbole de l’expansion économique controversée de l’ère du Parti de la justice et du développement (AKP), au pouvoir depuis 2002. Fondée en 1933, dix ans après l’instauration de la république, Turkish Airlines est pensée tel un vecteur de l’image moderne et occidentale du régime. Et si elle est une entreprise privée, elle maintient des liens forts avec la puissance publique : l’État turc a conservé 49 % des parts lors de la dernière ouverture de capital en 2006 et bénéficie de larges droits de veto en matière de gouvernance. Ainsi, la privatisation n’a pas détourné la compagnie de son rôle clé dans le soft power turc. Son déploiement à l’international a appuyé l’expansion des exportateurs des villes industrielles du sud-est, les « tigres anatoliens ». Socle électoral de l’AKP, ils ont, entre autres, fait de la Turquie l’un des premiers partenaires commerciaux du continent africain. Une expansion soutenue par l’État – entre 2009 et 2019, le nombre d’ambassades turques en Afrique est passé de 12 à 38 – et Turkish Airlines ; partie de rien au début des années 2000, la compagnie dessert une trentaine de pays en Afrique (janvier 2020). Cette clientèle conservatrice en croissance a une influence sur la stratégie de l’entreprise sur le marché intérieur. Un exemple parlant : en 2013, Turkish Airlines a supprimé l’alcool sur 10 de ses 16 vols domestiques en classe affaires, dans un contexte de réduction progressive de l’accès à la consommation d’alcool dans l’espace public. Mais, au-delà de la volonté du gouvernement, c’est la réprobation des passagers qui semble justifier ce choix, les lignes concernées reliant les « tigres anatoliens » au reste du pays. Celles épargnées par la « prohibition » unissent le coeur libéral et occidental de la Turquie, les mégalopoles et les littoraux touristiques.
Turkish Airlines reste une compagnie aérienne commerciale, ancrée dans les enjeux marchands du secteur. Ainsi, en dépit de la fragilité de la reprise des relations diplomatiques avec Israël depuis 2016, Tel-Aviv est redevenue l’une des destinations les plus desservies. L’entreprise est par ailleurs liée à l’industrie touristique, dominée par une clientèle européenne, malgré une ouverture aux visiteurs asiatiques et moyen-orientaux. La stratégie de communication de la compagnie vise à les attirer, et met en avant non pas les fantasmes néo-ottomans, mais bien l’image d’une Turquie « globale », hub entre l’Est et l’Ouest. Une vision qui bénéficie d’un soutien transpartisan en Turquie, gouvernement et opposition, tant le tourisme est essentiel à l’économie. Le projet pharaonique du troisième aéroport d’Istanbul, inauguré en 2019, va dans le même sens : faire de la ville un hub mondial concurrent des aéroports du Golfe, à même de convoyer la marque « Türkiye » à travers le monde.