Caraïbes des pirates
es pirates continuent de faire rêver. On peut dater le mythe de ces hommes téméraires et égalitaires, cruels et chevaleresques, enfouisseurs de trésors, des années 1720. C’est à ce moment que s’acheva la grande période de la flibuste, dont le territoire privilégié fut le bassin des Caraïbes. Cette localisation n’a rien de surprenant, puisque les principales proies guettées étaient les galions espagnols chargés de pièces et de lingots d’argent, et d’or, issus des mines de Nouvelle-Espagne et partant pour Séville. L’itinéraire était contraint par la circulation océanique : le courant de Floride, naissant au large du Mexique et rejoignant
Carte des Antilles dressée par Alexandre Vuillemin (18121886) et gravée par Erhard pour une édition de l’ouvrage Le Tour du monde en 1860. le Gulf Stream dans l’Atlantique, dessinait le passage obligé. La topographie insulaire fragmentée, impossible à contrôler par les maigres effectifs coloniaux, offrait nombre de havres, en particulier de petites îles montagneuses couvertes de forêts où cacher des flottilles de petits navires rapides. L’île de la Tortue, au nord d’Haïti, est restée mythique, même si elle fut surtout un repère de boucaniers et de producteurs de viande fumée.
Les premiers actes de piraterie commencèrent dès les années 1530, suivant le pillage des empires aztèque et inca, puis les mises en exploitation minières, à Potosí en particulier. Mais l’âge d’or de la flibuste fut le XVIIe siècle, au moment où la situation géopolitique devint complexe. Hollandais, Danois, Britanniques et Français submergèrent la prééminence espagnole pour se tailler leurs propres domaines coloniaux. L’objectif principal était de s’emparer d’îles propices aux rentables plantations de produits tropicaux, de sucre notamment. Ces impérialismes concurrents ne dédaignaient pas les profits de la course, surtout quand elle était quasi légale en période de conflits européens. Or, avec la guerre de Trente Ans (1618-1648), prolongée par le conflit franco-espagnol jusqu’en 1659, suivie par les quatre guerres de Louis XIV (1643-1715), le siècle n’avait rien de pacifique. Les différences entre corsaires, pirates, boucaniers et colons devinrent ténues. Si les pirates capturés étaient souvent pendus, ils pouvaient aussi être amnistiés pour devenir corsaires, chasseurs d’autres flibustiers, voire administrateurs de ces îles si difficiles à tenir. Charles François d’Angennes (1648-1691), officier de marine français, pirate puis corsaire, finit sa carrière comme gouverneur de Marie-Galante et plus riche planteur de Martinique. Les derniers feux de la course correspondent aux années qui suivent la fin de la guerre de succession d’Espagne en 1714. Les marins et soldats démobilisés, nombreux en Amérique, cherchaient une reconversion professionnelle. Mais le développement des plantations, qui devenait exponentiel, nécessitait un plus doux commerce. Les pirates qui ne finissaient pas pendus partirent en quête d’autres terrains. Le golfe de Guinée en était un, les navires négriers représentant des proies faciles. La montée en puissance des compagnies des Indes orientales rendait attractif l’océan Indien, mais son immensité, sans commune mesure avec la densité insulaire antillaise, rendait la piraterie peu rentable. Quelques petites îles proches de Madagascar, comme SainteMarie, devinrent quelque temps des repaires. C’est à ce moment, en Angleterre, que des flibustiers exécutés, tués au combat ou reconvertis deviennent des vedettes et que s’invente une littérature durable, prolongée par le cinéma, dessinant l’image romanesque des pirates des Caraïbes. Jolly Roger, le célèbre drapeau noir, est un attribut de cette piraterie rêvée, issue de pratiques réelles, mais qui n’avaient jamais été codifiées. De nos jours, le parfum recréé de la flibuste jette une épice supplémentaire sur les resorts frangés de sable blond. Les Bahamas, Porto Rico, la Jamaïque, les îles Caïmans en abusent. Sans compter que ces petits territoires indépendants sont bien pratiques pour une piraterie contemporaine plus rémunératrice : les paradis fiscaux.