Ilulissat, la patrimonialisation de la baie de Disko
Sur la côte orientale du Groenland, la baie de Disko et la ville d’Ilulissat sont des sites exceptionnels de glaciers et de fjords. Le classement au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2004 accélère la patrimonialisation de la région et dope un tourisme international fondé sur la découverte du Grand Nord et des aventures d’explorateurs tel Paul-Émile Victor (1907-1995).
S’étendant sur 150 kilomètres du nord au sud et 100 kilomètres d’est en ouest, Disko est la plus grande baie ouverte de l’ouest du Groenland, une île de 2,16 millions de kilomètres carrés couverte à 81 % de glace. De ces flancs se détachent d’immenses glaciers qui descendent vers la mer avec, en particulier, du nord vers le sud : Eqi, Sermeq Kujalleq et Nordenskjolds. Malgré de fortes contraintes climatiques, les eaux sont extrêmement poissonneuses. Car les fontes glaciaires libèrent des sels nutritifs qui favorisent le développement du phytoplancton sous l’action de la lumière du soleil. Elles sont reconnaissables à leur couleur vert émeraude alors que l’eau qui entre par l’ouest dans la baie – provenant du courant du Groenland occidental – est bleu sombre, salée et plus chaude. Cette chaîne alimentaire océanique constitue la nourriture de nombreuses espèces (crevettes, flétans, phoques, baleines) sur lesquelles repose l’économie traditionnelle de la baie de Disko.
DE LA DÉPENDANCE À L’AUTONOMIE
Cette baie appartient à la commune d’Ilulissat. Malgré la présence de petites villes (Aasiaat, Qasigiannguit, Ilimanaq), c’est un désert humain comptant environ 10 000 habitants. La moitié vit à Ilulissat, la « grande ville » de la baie portée par l’économie touristique. Cette baie a été colonisée par les Danois au XVIIIe siècle. En 1953, le Groenland passe du statut de colonie à celui de comptoir d’outre-mer, avant d’acquérir son autonomie vis-à-vis de Copenhague en 1979.
Mais sa situation de dépendance s’en trouve paradoxalement renforcée : l’abolition du monopole commercial d’État ouvre en effet l’île aux entreprises piscicoles danoises privées. L’arrivée des grandes industries du poisson bouleverse les équilibres socio-économiques et les modes de vie antérieurs. De nombreux Groenlandais deviennent pêcheurs à plein temps alors qu’il s’avère de plus en plus difficile de vivre uniquement de la chasse. Les gouvernements groenlandais et danois ont décidé de diversifier l’économie du Groenland, qui repose à 50 % sur la pêche.
L’ÉVEIL DU TOURISME DE HAUTES LATITUDES
Dans ce contexte, Ilulissat a joué la carte de l’industrie touristique en s’appuyant d’abord sur l’aéroport, construit en 1983, qui désenclava la région. Sa transformation de structure régionale en aéroport atlantique est prévue, l’extension de la piste devant permettre d’accueillir des avions de plus grande capacité et venant de plus loin. Elle a ensuite promu le classement au patrimoine mondial de l’UNESCO du fjord d’Ilulissat, qui bénéficie de deux atouts. Alimenté par un inlandsis exceptionnel, le Sermeq Kujalleq est l’un des glaciers les plus productifs au monde, tout en étant facilement accessible aux touristes. Sa vitesse d’écoulement est de 30 mètres par jour et il libère environ 6,25 milliards de mètres cubes d’icebergs par an. Il est souvent présenté par certains chercheurs comme le seul vestige dans l’hémisphère nord de la dernière période glaciaire du Quaternaire. Mais ce fjord glaciaire est aussi un site historique très ancien, comme en témoigne la présence de restes archéologiques des Sermermiut (« peuple glaciaire ») qui s’y installaient pour la chasse. Cette mise en tourisme du Groenland attire de plus en plus de visiteurs, particulièrement dans la baie de Disko. Des journalistes et des touristes s’y rendent pour photographier les « derniers icebergs ». Le dynamisme est considérable : entre 2004 et 2018, le nombre de nuitées dans la ville d’Ilulissat a doublé, passant de 35 200 à 71 750. Les passagers des bateaux de croisière – un nouveau modèle de découverte en vogue dans la région – passent de 8250 à 13000 entre 2015 et 2018. À 80 kilomètres au nord du fjord d’Ilulissat, le glacier Eqi est un autre pôle attractif, de nombreux touristes cherchant à marcher sur les traces de l’explorateur français PaulÉmile Victor, devenu ainsi un produit iconique de la baie de Disko. C’est ici en effet que l’Expédition polaire française s’installa de 1948 à 1953. Elle y fut cependant précédée sur ces lieux par les Danois Hinrich Johannes Rink (18191893) en 1848, Morten Pedersen Porsild (1872-1956) en 1913 et l’Allemand Alfred Wegener (1880-1930) en 1928. Cet afflux touristique provoque une pression sur la faune et la flore tout en fournissant en contrepartie une source de revenus non négligeable. Un des enjeux posés est d’arriver à concilier conservation, valorisation du site et respect de l’environnement.