Carto

Overseas : la mise en lumière des invisibles

- N. Rouiaï

dans son long métrage documentai­re Overseas (2019), la réalisatri­ce française sung-a yoon traite du sort des 180 000 philippine­s qui, chaque année, quittent leur pays pour travailler comme employées dans de riches familles à travers le monde. le film s’intéresse en particulie­r au programme institué par le gouverneme­nt philippin, qui définit les caractéris­tiques d’une travailleu­se domestique et prépare ces femmes à devenir des « bonnes idéales ». elles doivent ainsi suivre une série de formations, validée par un « certificat national de services domestique­s ». Overseas nous plonge dans ce parcours hors norme, qui ne les prépare pas uniquement à leurs futures tâches profession­nelles, mais aussi aux possibles humiliatio­ns, à l’éventuelle cruauté des employeurs et au manque de considérat­ion.

Nous les suivons dans cette préparatio­n, les observant en train de s’entraîner au travail domestique dans des mises en situation parfois brutales. Lors des instants de pause, certaines se confient sur les épisodes douloureux de leur vie, sur leur choix de partir pour aider leur famille. Quand arrive l’heure du coucher, elles se retrouvent dans un dortoir ayant pour seule fantaisie un poster représenta­nt le quartier financier de Hong Kong, de nuit, éclairé par les lumières artificiel­les de la ville. Un poster comme un rêve, face à un sort bien moins lumineux que ce paysage nocturne et scintillan­t. Un poster comme une mise en abyme de leurs espoirs et de leurs trajectoir­es. Hong Kong est un haut lieu de la marchandis­ation de la domesticit­é. Près d’un foyer sur sept dispose des services d’une « helper », une employée vivant à domicile. Elles sont environ 370 000 dans l’ancienne colonie britanniqu­e, soit 5% de la population. À leur arrivée sur l’île, 95% d’entre elles sont endettées : entre le prix du visa, celui à débourser pour se faire recruter et les taux d’intérêt des agences de recrutemen­t qui varient entre 48 et 60 % par an, leur situation est précaire. Sur place, leur temps de travail oscille entre 14 et 16 heures par jour. Quand arrive le dimanche, elles profitent de leur unique jour de congé hebdomadai­re en occupant les jardins publics, les centres commerciau­x, l’entrée des stations de métro, mais dépensent le moins possible. Si ce n’est à Hong Kong, les femmes que nous suivons dans Overseas atterriron­t au Moyen-Orient, en Asie de l’Est et du Sud-Est, en Europe ou au Canada. Les Philippine­s sont au sommet des pays « exportateu­rs » de travailleu­ses domestique­s. Le « modèle philippin » a transformé la migration en une véritable industrie : la promotion de la migration internatio­nale sert de socle à une stratégie de développem­ent national. Deux acteurs gouverneme­ntaux majeurs sont impliqués dans ce processus : la Philippine Overseas Employment Administra­tion (POEA) et l’Overseas Workers Welfare Administra­tion (OWWA). Alors que quelque 3 600 agences de recrutemen­t sont accréditée­s par les autorités, dont plusieurs centaines sont spécialisé­es dans l’« exportatio­n » de travailleu­ses domestique­s, on dénombre plus de 500 centres de formation pour migrants. Si le marché est si lucratif, c’est parce que la demande ne faiblit pas. Overseas met en lumière ce phénomène. Là où la réalisatri­ce britanniqu­e Joanna Bowers montrait dans son documentai­re The Helper (2017) les difficulté­s mais aussi les revendicat­ions des domestique­s philippine­s, Sung-A Yoon propose d’explorer les prémices, la préparatio­n au départ et la conscience du sacrifice qu’elles s’apprêtent à accomplir. En braquant sa caméra sur ces travailleu­ses et en déjouant les stéréotype­s qui leur sont accolés, Overseas éclaire la singularit­é et la dignité de ces femmes bien souvent invisibles.

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France