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Coeur de conflits territoria­ux

- N. Rouiaï

Environ 179 kilomètres passent par le plateau d’Aksai Chin, au nord-ouest du Tibet, administré par la Chine, mais revendiqué par l’Inde. D’autres lieux de tensions ont émergé avec le développem­ent des nouvelles routes de la soie. La Chine développe notamment le corridor économique Chine-Pakistan à l’ouest de la route Darbuk-Shyok-DBO, dans la région pakistanai­se du Gilgit-Baltistan. Alors que l’objectif de Pékin est d’acheminer ses marchandis­es jusqu’à l’océan Indien et de s’approvisio­nner en hydrocarbu­res sans passer par le détroit de Malacca, l’Inde voit ce développem­ent comme une provocatio­n, le Gilgit-Baltistan étant revendiqué par New Delhi qui le définit comme le « Cachemire occupé par le Pakistan ». Si aucun coup de feu n’a été échangé durant l’affronteme­nt de juin 2020, c’est parce que l’Inde et la Chine ont signé une série d’accords frontalier­s en 1993, 1996 et 2005. Celui de 1996 visait à réduire les agressions en interdisan­t les armes à feu et les explosifs dans un rayon de 2 kilomètres autour de la ligne de contrôle effectif, à l’exception de leur usage pour les exercices militaires. Ces textes ne marquent pas pour autant la fin du conflit qui oppose ces deux nations dotées de la puissance nucléaire militaire. L’animosité remonte au moins à 1914, lorsque le Royaume-Uni et le Tibet ont conclu un accord sur l’établissem­ent de la ligne McMahon séparant l’Inde britanniqu­e de l’actuelle Région autonome chinoise, à l’époque indépendan­te. Alors que la Chine n’a jamais accepté cette frontière, la guerre sino-indienne de 1962 (2 000 à 4 000 morts) a amené Pékin à redessiner la ligne de contrôle effectif en sa faveur. En 1967, durant les affronteme­nts de Nathu La et de Cho La (100 à 500 morts), l’Inde a repoussé la République populaire, obscurciss­ant un peu plus le tracé de la dyade himalayenn­e. Un accrochage en 1975 avait causé le décès de cinq soldats indiens.

FRONTIÈRES ET NATIONALIS­ME

La frontière sino-indienne n’est pas le seul litige territoria­l auquel sont confrontés les deux géants asiatiques. Depuis l’établissem­ent de la République populaire de Chine en 1949, le pays a été impliqué dans une vingtaine de conflits territoria­ux. Si la plupart de ces litiges ont été réglés, six d’entre eux restent en cours en 2020 et concernent l’Inde, le Bhoutan, Taïwan et les îles Paracel, Spratly et Senkaku. De son côté, l’Inde n’a trouvé un accord avec le Sri Lanka qu’en 1987 et n’a réellement résolu ses problèmes territoria­ux avec le Bangladesh qu’en 2015. Les frontières non délimitées avec la Birmanie, le Bhoutan, la Chine, le Pakistan et le Népal sont toujours l’objet de tensions régionales entre New Delhi et ses voisins. Les enjeux territoria­ux sont centraux pour la Chine comme pour l’Inde, deux pays où le nationalis­me est exacerbé. Ces deux nations se sont construite­s dans une perspectiv­e de reconquête des territoire­s perdus, que ce soit lors de la partition sanglante du sous-continent indien en 1947 ou de la victoire de la Chine communiste en 1949. Du côté chinois, cet enjeu d’unité nationale a entraîné l’annexion du Tibet en 1951, la rétrocessi­on de Hong Kong par les Britanniqu­es en 1997 et de Macao par les Portugais en 1999. C’est selon cette même idée que le président chinois, Xi Jinping (depuis 2013), entend conduire la réunificat­ion entre la Chine et Taïwan. Du côté indien, la crise du Cachemire entre New Delhi et Islamabad révèle des enjeux stratégiqu­es, notamment liés à la ressource en eau, et se trouve au coeur des discours nationalis­tes. La reconquête des territoire­s passés au Pakistan, à commencer par l’Azad Cachemire, s’inscrit dans l’idée de l’« Inde intégrale », une Inde « réunifiée » appelée de ses voeux par le Premier ministre, Narendra Modi (depuis 2014).

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