Une entreprise délicate
Regardons plus attentivement ces représentations pour décortiquer les liens entre les climats et les êtres humains mis en cartes, à travers les glaciers, les cyclones, le manque d’eau… À grande échelle, l’étude des glaciers continentaux souligne des variations fortes à moyenne altitude (cf. carte 1). Entre deux glaciers du massif du Mont-Blanc, les différences sont notables alors qu’ils sont situés à moins de 8 kilomètres. Entre 2 500 et 1 500 mètres d’altitude, le rôle des facteurs topographiques est déterminant pour expliquer ces contrastes. On est ici dans la langue d’écoulement du glacier. Est-il plus à l’ombre ou au soleil ? Plus exposé à des chutes de neige compte tenu de la forme de la crête ? Dans une région de montagne, d’une vallée à l’autre, chaque glacier a sa propre morphologie, ses propres microclimats. D’où l’importance de s’attarder sur les échelles fines en climatologie, en disposant d’un réseau de mesures denses pour avoir un jeu de données opérationnelles, alors que nombre de postes météorologiques ferment, notamment en France, dans les régions les plus rurales et montagneuses.
LA MISE EN CARTE DES CONSÉQUENCES DES CLIMATS
À l’échelle d’un pays, il est possible de cartographier un événement climatique bref. Mais la multitude de facteurs à prendre en compte rend l’exercice difficile. Ainsi, la carte du cyclone Yolanda aux Philippines, en novembre 2013, combine des informations disparates avec des aplats colorés pour les densités de population, des points rouges pour la hauteur des vagues, un trait bleu pour la trajectoire du cyclone et les heures de passage (cf. carte 2). La vitesse des vents est indiquée, mais l’extrême enregistré à 315 kilomètres à l’heure n’apparaît pas. Le nombre de morts est aussi inscrit ; il interpelle, car il est plus élevé à l’est, où les densités de population sont les plus faibles. On atteint ici la limite de la lisibilité à cause d’une surinformation par des variables non évidentes dans la chaîne causale ; la sélection n’est pas explicitée. Qu’en est-il du relief puisqu’une population habitant au ras de la mer est plus exposée à une surcote qu’une population vivant sur les hauteurs ? Estce le vent qui a le plus tué ou l’eau ? La carte suscite des questions plus qu’elle ne fournit de clés d’explication. À une échelle presque continentale, c’est la vulnérabilité de l’Inde à une pénurie d’eau qui nous intéresse (cf. carte 4 p. 59). Ce sont ici les pressions humaines sur l’eau qui sont affichées avec la surexploitation des nappes phréatiques et les zones de stress hydrique.
La carte met en évidence les vulnérabilités des régions du haut Gange et du Brahmapoutre. Est-ce par suite d’une moindre alimentation de ces fleuves ? C’est l’Inde des fortes densités (jusqu’à 30 000 habitants au kilomètre carré) et de la croissance urbaine la plus importante
(parfois supérieure à 30%). C’est comme un coup de gomme sur cette population soumise à la variabilité interannuelle « normale » (sur trente ans et pas seulement sur la période 20122018) de la mousson. De même, la répartition spatiale des pluies aurait permis d’identifier des régions moins pluvieuses et plus dépendantes des grands fleuves. Un histogramme montrant en pourcentages l’écart des totaux de précipitations liés à la mousson est bien présenté. Mais pour un pays aussi grand que l’Inde, que signifie une moyenne nationale ? Par exemple, en 2015 et 2016, certaines régions ont connu de graves inondations et d’autres pas, d’où la nécessité de spatialiser plus finement les précipitations. Quant au stress hydrique représenté sur la carte, c’est celui de 2010 alors que la variabilité de la mousson est montrée entre 2012 et 2018. L’exercice cartographique est ardu. Ces cartes fourmillent d’indications sur des éléments liés aux climats des espaces sélectionnés. D’une part, en prenant un peu de distance avec le choix des informations et des données, on doit s’interroger sur les pas de temps. Un événement bref n’est pas intrinsèquement comparable à une moyenne. Certes, il s’inscrit dans une fourchette de possibles entre « maxi » et « mini », mais, s’il fait événement mémorable, c’est qu’il s’éloigne de la moyenne… C’est toute la difficulté posée au concepteur des cartes, particulièrement lorsqu’il s’agit de climats faits de variabilités (dans le temps) et de gradients (dans l’espace). D’autre part, les cartes privilégient certains éléments climatiques dans un panel large : la pression, la pluie, le vent, la température… Certains sont plus spatialisables que d’autres, mais sont-ils plus pertinents ? C’est le cas de l’eau (la glace, la pluie, le sec), au contraire de l’air (le vent, la pression). Enfin, la complexité croît avec l’introduction de paramètres sociétaux. Chaque élément du climat peut être une ressource ou une contrainte selon les lieux, les moments, les techniques, les individus… Alors, comment mettre à plat le climat sur des cartes qui soient lisibles sans être simplistes ? Et à quelle échelle ? Réfléchissons en climatologie géographique puisque « les deux cartes premières de toute géographie humaine sont la carte générale des pluies et la carte générale des hommes » (1). Revenons sur les modes de représentation cartographique des climats eux-mêmes. La complexité est moindre qu’en cas d’événements affectant une société à un moment donné après une « gâchette » météorologique ou climatique. Toutefois, représenter un concept, comme celui de climat, suppose des choix moins simples qu’il n’y paraît au premier abord. À partir de l’époque moderne, les scientifiques répertorient les climats en même temps qu’ils les cartographient. La caractérisation de chacun s’appuie, selon les périodes et les méthodes utilisées, sur les causes ou les conséquences ; elle oscille entre analyse et synthèse et privilégie soit les temporalités, soit l’espace. Chaque manière de voir répond au paradigme du moment : la notion contemporaine de « climat global », qui est construite sur une température moyenne de la planète, valorise l’unicité et l’universalité ; l’émergence d’un « climat méditerranéen » répond à la découverte des bains de mer en hiver par les Anglais du XIXe siècle ;