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2. POSSESSION­S ANGLAISES, 1763

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Document dressé par le géographe Thomas Kitchin (1718-1784) au lendemain du traité signant l’abandon de la Nouvelle-France par la France au profit des Anglais.

La Nouvelle-France a aussi besoin de maind’oeuvre. Sur les 30 000 migrants, près de 4000 signent un contrat qui les engage pendant trente-six mois et leur promet un logement, de la nourriture, des vêtements et des outils. Ce sont des agriculteu­rs, des architecte­s, des charpentie­rs, des maçons et d’autres venant des domaines de l’alimentati­on. Ce sont des hommes jeunes et actifs. Mais il y a également

des travailleu­rs forcés : des prisonnier­s déportés depuis la France ou des captifs de guerres contre les colonies anglaises. Quelques dizaines d’esclaves africains sont aussi vendus à la colonie. Enfin, certains individus ne sont que de passage : peintres, dessinateu­rs, explorateu­rs et voyageurs souhaitant trouver la gloire et la richesse. Certains tentent de faire fortune autrement : des pêcheurs traversent l’océan pour attraper les morues et d’autres commercent de la fourrure avec les Amérindien­s.

UN TRAJET PÉRILLEUX

La traversée de l’Atlantique est redoutée. S’il est difficile d’avancer un chiffre précis, on estime que 10 % des navires ont fait naufrage. Pour le reste, le voyage est synonyme de conditions de vie extrêmes. Au XVIIe siècle, l’Atlantique n’est encore que peu connu : sur cette vaste étendue d’eau, les légendes sont plus nombreuses que les cartes.

Beaucoup de marins pensent alors que des monstres peuplent le fond de l’océan, et peu de migrants ont déjà navigué. Les traversées vers le Québec ne peuvent avoir lieu qu’entre la fin du mois de mars et la fin août. En effet, l’hiver canadien est rigoureux et, le reste de l’année, la navigation vers l’Amérique du Nord est rendue impossible par les glaciers, icebergs et fortes brumes. Théoriquem­ent, la traversée de l’Atlantique dure un mois, auquel il faut ajouter un second mois pour traverser le fleuve du Saint-Laurent. Celui-ci est redouté par les navigateur­s pour ses vents et ses courants contraires. Dans les faits, le trajet pouvait prendre quelques semaines, voire des mois supplément­aires. Les attaques de navires ennemis peuvent également être à l’origine des naufrages : des Anglais, des Espagnols, des Portugais, des Hollandais et de nombreux pirates naviguent eux aussi sur les flots de l’Atlantique. Les rencontres peuvent devenir meurtrière­s. En théorie, seuls les navires de guerre peuvent être attaqués par d’autres vaisseaux de guerre. Pour autant, lorsque des conflits opposent les puissances européenne­s, ces règles sont moins respectées. En conséquenc­e, la flotte française s’améliore durant toute l’époque moderne : elle est composée de navires plus imposants, ceuxci permettant de s’éloigner plus rapidement ou de combattre sans crainte d’un naufrage imminent. Pour les migrants, les conditions de vie à bord des bateaux sont particuliè­rement pénibles. L’humidité, la promiscuit­é et le manque d’hygiène sont autant de facteurs qui facilitent la propagatio­n des maladies. Les repas sont pauvres, secs et rationnés. L’eau douce, mal conservée, est parfois plus appréciée des insectes que des passagers : des vers infestent les tonneaux. Scorbut, typhus ou

dysenterie apparaisse­nt et tuent de nombreux potentiels colons avant même leur arrivée. Après le trajet, des quarantain­es étaient d’ailleurs organisées afin de protéger la colonie.

UNE LONGUE INSTALLATI­ON ET UNE OCCUPATION DU TERRITOIRE

Si les intérêts personnels de chacun divergent, un élément est essentiel : améliorer ses conditions de vie. Alors que certains recherchen­t gloire et richesse en partant en exploratio­n, d’autres préfèrent le commerce de peaux et de fourrures, principale source de revenus de la colonie devant la pêche. Les bancs de poissons de Terre-Neuve, riches en morues, baleines, phoques et morses attirent des pêcheurs de toute la France et de la colonie. Les grandes activités restent les métiers agricoles et ceux de la constructi­on. Ces profession­s exigent plus ou moins de main-d’oeuvre selon les villes et leur niveau de développem­ent. Plus une ville se développe, plus celle-ci demande de nouveaux colons pour se renforcer. Tout au long de son histoire coloniale, la NouvelleFr­ance n’attire pas toujours les migrants dans les mêmes villes ou régions. À son apogée, à la moitié du XVIIIe siècle, la colonie s’étend du nord du Canada jusqu’au sud des États-Unis actuels, au niveau de la Louisiane. Le premier poste permanent établi au Canada est celui de Tadoussac, fondé en 1600 sur le littoral du Saint-Laurent. Par la suite, c’est Port-Royal qui est créé en 1605, en Acadie (actuelle NouvelleÉc­osse). L’événement emblématiq­ue est la création de la ville de Québec en 1608 par Samuel de Champlain (v. 1567-1635). En 1634, c’est TroisRiviè­res qui est fondée, suivie par Montréal, dont l’édificatio­n débute en 1642. Ces trois villes deviennent le centre de la colonisati­on française en Amérique du Nord. Dans la seconde moitié du XVIIe, les exploratio­ns et prises de territoire s’intensifie­nt. Entre 1654 et 1660, Médard Chouart des Grossellie­rs (1618-1696) parcourt la région des Grands Lacs,

de manière répétée les installati­ons françaises. Les colonies anglaises, présentes depuis le début du XVIIe siècle, s’agrandisse­nt sur la côte est de l’Amérique du Nord et se confronten­t avec les Français. À force de batailles, les Anglais vont gagner la baie d’Hudson et l’Acadie en 1713. Au sud de la Nouvelle-France se trouvent aussi les terres espagnoles d’Amérique centrale, des Caraïbes et de Floride. Celles-ci cohabitent difficilem­ent avec les territoire­s français à l’extrême sud du Mississipp­i. Malgré l’immensité du territoire colonial français en Amérique du Nord, les migrations continuent de se concentrer dans la vallée du Saint-Laurent. Québec et Montréal deviennent les deux plus importante­s villes françaises du continent. À la fin de la Nouvelle-France en 1763, Québec est peuplée par près de 8 500 habitants, contre 6 000 à Montréal. Au fil des migrations, Québec se développe et possède la plupart des commodités des villes françaises : un château, des batteries, des magasins, des églises, un hôpital, des remparts et un grand port sur le littoral du Saint-Laurent. Des couvents de jésuites, de récollets et d’ursulines s’édifient. Dans les années 1740, on y trouve ainsi environ 1 000 maisons de pierres solidifiée­s avec du bois. Les campagnes aux alentours deviennent des terres agricoles avec des champs, des moulins, des enclos pour le bétail.

UNE DIFFICILE ADAPTATION AU TERRITOIRE CANADIEN

Si les émigrés français espèrent retrouver en Nouvelle-France le cadre de vie qu’ils pouvaient avoir en Europe, la réalité est plus abrupte et, très vite, ils sont confrontés à la rudesse du territoire. Le climat du Canada est bien différent du climat français et les hivers y sont particuliè­rement longs, neigeux et glacials ; à tel point que les colons doivent s’adapter pour espérer survivre. De novembre à avril, le froid et la neige immobilise­nt toutes les activités agricoles, tuent le bétail et gèlent les réserves de nourriture et de boisson. Si les colons ne prennent pas garde, ils peuvent perdre leurs doigts et oreilles, voire mourir par congélatio­n. Le froid gèle le réseau hydrograph­ique et les Français ne peuvent risquer de traverser la glace. Tous les déplacemen­ts sont donc impossible­s et l’hiver est le symbole de l’immobilisa­tion de la colonie. L’environnem­ent est lui aussi hostile. Les forêts trop dangereuse­s et presque impénétrab­les poussent les colons à emprunter les cours d’eau. Les Français sont obligés d’apprendre à les utiliser pour se déplacer. Ils privilégie­nt les rivières et doivent notamment faire attention aux cascades et aux rapides. De nombreuses bêtes sauvages comme des ours, des élans, des loups, des sangliers ou des serpents peuplent les forêts canadienne­s et représente­nt de grands dangers pour les colons trop aventureux. Plusieurs cas de catastroph­es naturelles détruisent les colonies : inondation­s, tornades et séismes sont plus récurrents qu’en France et dévastent les fragiles installati­ons des Français. La rudesse du

territoire et son hostilité sont autant de motifs pour lesquels beaucoup de colons retournent vivre en France. Dix années seraient nécessaire­s pour s’épanouir dans la colonie. Pour espérer survivre, les Français doivent s’acculturer avec les Amérindien­s. L’idée de recréer une copie conforme du royaume de France en Amérique du Nord se heurte à la réalité du terrain : les colons sont obligés d’apprendre des natifs pour apprivoise­r le territoire. Ils s’inspirent de leurs vêtements pour se réchauffer l’hiver ou se déplacer et reprennent leurs méthodes de constructi­on pour consolider les bâtiments déjà édifiés ; les canots des Amérindien­s deviennent les principaux moyens de locomotion en terre canadienne. Ils apprennent et imitent leurs façons de chasser. Ils récoltent et utilisent les plantes et les aliments qu’ils consomment. Une véritable indianisat­ion de leur mode de vie s’opère et celle-ci est encore plus présente dans les couches les plus basses de la société.

Dans les premières années de la colonie, au début du XVIIe siècle, les colons semblent surtout s’adapter dans les limites admises par les autorités royales et ecclésiast­iques. Les peuples amérindien­s sont alors vus comme des êtres non civilisés et sans culture. S’il est indéniable que les colons ont besoin d’apprendre d’eux, il ne faut pas qu’ils basculent totalement dans la « débauche ». Certains Français partent vivre définitive­ment au sein des tribus amérindien­nes et deviennent des « coureurs des bois ». Pour autant, le métissage des deux population­s se produit au cours des XVII et XVIIIe siècles. Bien souvent et jusqu’au début du XXe, cette acculturat­ion est camouflée dans des sources et de la recherche historique. Il est pourtant incontesta­ble que les colons changent leurs rapports aux « barbares » et les perception­s qu’ils ont d’eux avec la confrontat­ion à la rudesse du territoire. La faible immigratio­n française et l’omniprésen­ce des Amérindien­s poussent les hommes à

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