Serbie et Kosovo, proches et si éloignés
Serbie et Kosovo, proches et si éloignés
En février 2008, l’ancienne province autonome serbe du Kosovo a proclamé unilatéralement son indépendance. Douze ans plus tard, celle-ci n’est toujours pas reconnue par la moitié des États membres de l’ONU, et les négociations d’adhésion de la Serbie à l’Union européenne (UE), commencées en 2012, sont en partie conditionnées à la résolution du différend avec Pristina. Le dialogue entre les deux pays reste bloqué.
L’indépendance du Monténégro visà-vis de ce qui était la Yougoslavie (jusqu’en 2003) puis la Communauté d’États de Serbie-et-Monténégro, proclamée en juin 2006 à la suite d’un référendum d’autodétermination (remporté à 55,4 %), a été internationalement reconnue, y compris par la Serbie. Pour le Kosovo, Belgrade reste opposé à toute souveraineté. Cette différence de traitement tient pour partie au statut qu’avaient ces deux territoires au sein de la Yougoslavie. Si le Monténégro était une république de la fédération au même titre que la Serbie, le Kosovo était un territoire autonome au sein de celle-ci. Pour de nombreux États, reconnaître alors l’indépendance du Kosovo éveille la crainte d’ouvrir une boîte de pandore à toutes les revendications d’indépendance de territoires en leur sein. Par ailleurs, pour la Serbie, le Kosovo ne saurait lui être arraché tant la symbolique est forte.
DES RACINES FORTES
Depuis des siècles, le Kosovo est peuplé d’Albanais et de Serbes, deux peuples qui diffèrent par la langue (non slave avec alphabet latin pour les premiers, slave en cyrillique pour les seconds) et par la religion (musulmans sunnites, chrétiens orthodoxes). Même s’il est peuplé d’Albanais à 91% (recensement de 2011) – la minorité serbe n’a cessé de baisser, passant de 23,5 % en 1961 à 13,2 % en 1981 et 3,4 % en 2011 –, le Kosovo représente pour les Serbes le berceau historique de leur nation. Conquis au XIIe siècle aux dépens de Byzance, il devient aux XIIIe et XIVe siècles le coeur de l’État serbe et se couvre de monastères. Il est en 1389 le lieu d’affrontement entre Turcs et Serbes lors de la bataille du « champ des merles », remportée par l’Empire ottoman. La reconquête du Kosovo prend alors toute son importance dans la dialectique nationaliste serbe, notamment à partir du XIXe siècle, jusqu’à son intégration à la Serbie lors de la seconde guerre balkanique de 1913. Il a ensuite fait partie des Yougoslavie successives, sauf lorsque les forces de l’Axe l’ont, durant la Seconde Guerre mondiale, incorporé à une « Grande Albanie ». Et vient la guerre de 1998-1999 avec la tentative yougoslave de démanteler l’Armée de libération du Kosovo (UCK) et l’intervention de l’OTAN, qui se sont soldées par plus de 13 500 victimes albanaises et serbes, essentiellement civiles. Depuis l’obtention du statut de candidat à l’adhésion à l’UE en 2012, les liens économiques entre la Serbie et Bruxelles se sont resserrés. Les exportations serbes vers l’Union ont triplé entre 2007 et 2019 pour atteindre 11,7 milliards d’euros, tandis que les importations depuis l’UE ont doublé et représentent 13,9 milliards. L’UE est destinataire de 66,7% des exportations serbes, avec comme principaux clients l’Allemagne et l’Italie (automobile, pièces usinées…), et fournit 58,2 % des produits importés. Les autres membres de l’Accord de libre échange centre-européen (CEFTA en anglais : Albanie, Bosnie-Herzégovine, Macédoine du Nord, Moldavie, Monténégro, Kosovo) restent des partenaires commerciaux importants pour la Serbie (16,9% de ses débouchés). De même, si le Kosovo reste dépendant de l’UE, sa voisine serbe atteint 12,8% de ses exportations et 14,8% de ses importations en 2016. Mais la décision kosovare – en représailles à l’activisme diplomatique serbe pour empêcher la reconnaissance de l’indépendance – d’augmenter en 2017 les tarifs douaniers de 100 % sur les produits en provenance de Serbie et de Bosnie-Herzégovine a fait chuter les échanges.
L’ÉCHANGE DE TERRITOIRES, UNE SOLUTION VIABLE ?
L’un des principaux points de tension concerne les territoires du nord du Kosovo, majoritairement peuplés de Serbes refusant la tutelle de Pristina. L’idée d’une redéfinition des frontières par l’échange de terres entre le nord du Kosovo et la vallée du Presevo, dans le sud de la Serbie, a été discutée en 2018 entre présidents serbe et kosovar avec l’appui de Washington. Cette solution est difficile à mettre en pratique, car peu populaire auprès des opinions publiques et loin de faire l’unanimité au sein de l’UE en raison de l’effet boule de neige qu’elle pourrait provoquer avec tous les autres territoires peuplés de minorités. Au Kosovo, les nationalistes comme les partisans d’une cohabitation paisible entre les deux communautés refusent cette option. Avec un taux de chômage supérieur à 30 %, la population est davantage préoccupée par la situation économique, la lutte contre la corruption et le clientélisme, dans un territoire connu pour être au coeur de différents trafics illicites en Europe (cigarettes, drogues, armes, organes…). De plus, la guerre de 1998-1999 n’est pas oubliée ; preuve en est l’inculpation, annoncée le 24 juin 2020, du président Hashim Thaçi (depuis 2016) pour crimes contre l’humanité pendant et après le conflit. L’effet a été immédiat : le report sine die du sommet avec la Serbie prévu trois jours plus tard sous l’égide des États-Unis.