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Des frontières chinoises intégrées ou exploitées ? Le cas de Fugong

Aux frontières de la République populaire de Chine, souvent peuplées de minorités ethniques, la question de la stabilité sociale locale se double d’enjeux sécuritair­es. Comment le Parti communiste chinois (PCC) y adapte-t-il ses plans de développem­ent ? L

- D. Juilien

a vallée du fleuve Salouen est principale­ment l’objet de politiques de lutte contre la pauvreté, Fugong étant l’un des districts les plus défavorisé­s du pays (cf. cartes 1 et 2). Par manque de terres cultivable­s disponible­s, les jeunes sont poussés à devenir des travailleu­rs migrants, notamment dans les grands centres industriel­s chinois. La géographie accidentée de cette région ne facilite pas son rattacheme­nt aux réseaux économique­s de la province, le Yunnan. De fait, il n’existe qu’un point d’entrée vers la vallée ; en revanche, il y a de multiples routes vers la Birmanie.

ENTRE EXPLOITATI­ON HYDROÉLECT­RIQUE ET TOURISME

Après l’ouverture économique de la Chine en 1979, l’eau fut tenue pour la seule ressource importante de la vallée. Or, à la fin des années 1990, le développem­ent rapide des provinces littorales de l’est avait créé un besoin aigu d’électricit­é. Le gouverneme­nt central y vit l’opportunit­é de réduire les écarts de développem­ent et de lier par l’économie les différente­s parties du pays, notamment l’ouest. Ainsi, il fut décidé en 2003 de lancer un projet hydroélect­rique : à la frontière avec la Birmanie, il était prévu de construire 12 barrages, avec une capacité de 17 gigawatts. Ce plan ne vit jamais le jour. Certains ministères nationaux, alliés aux militants écologiste­s chinois, s’y opposèrent, lui reprochant de ne pas tenir suffisamme­nt compte des impacts négatifs sur les écosystème­s locaux et sur la société. La production massive d’électricit­é aurait alimenté les provinces orientales chinoises développée­s, mais les population­s locales, forcées au déplacemen­t, auraient été privées de terres cultivable­s. Présentée par le pouvoir central comme un outil de développem­ent, l’exploitati­on hydroélect­rique aurait en fait fragilisé la région, contribuan­t à creuser les inégalités entre les Chine occidental­e et orientale. En 2016, le gouverneme­nt du Yunnan annonça que la vallée deviendrai­t un parc national destiné à l’écotourism­e. Le projet était ancré dans des réalités déjà existantes : une partie de la région était inscrite au patrimoine mondial de l’humanité depuis 2003. Pour ce faire, l’une des premières mesures fut l’ouverture de la vallée à un trafic routier plus important. Par son élargissem­ent, l’axe nord-sud a réduit les temps de trajet. Il demeure néanmoins l’unique point d’accès depuis le reste de la Chine. Cependant, dans le district de Fugong, la durabilité du développem­ent par l’écotourism­e pose question (cf. carte 3). Les zones naturelles les plus impression­nantes sont au nord, tandis que le sud bénéficie d’une situation stratégiqu­e pour l’accueil des touristes.

UN DÉVELOPPEM­ENT AUX DÉPENS DES POPULATION­S ?

La mise en tourisme de la vallée se double d’un projet plus ambitieux. Dans sa course au développem­ent du pays, le PCC demande une transition « civilisati­onnelle » des territoire­s ruraux pauvres, mais dont certains aspects ne sont pas toujours bien perçus par les habitants. C’est le cas de l’interdicti­on de la culture du maïs au profit de produits

économique­ment plus profitable­s. Utilisé pour nourrir les élevages de poules et de porcs, le maïs est cependant essentiel pour ceux qui ne disposent que de maigres revenus. Son importance s’est accrue depuis les restrictio­ns imposées aux activités de chasse découlant de la création de zones protégées. Par ailleurs, il faut noter que cette interdicti­on provient sans doute des autorités locales. Elle a provoqué une contestati­on populaire à travers le district de Fugong en 2019, date à laquelle cette prohibitio­n fut levée après interventi­on des autorités provincial­es. Mais, en réponse aux ordres du gouverneme­nt central, il s’agit aussi de reconfigur­er la géographie de la population, en majorité d’ethnie Lisu et de religion chrétienne. Autrefois disséminée dans les montagnes, une partie de celle-ci est reconcentr­ée dans de « nouveaux villages ». Situés près du fleuve, ces derniers sont loin des parcelles agricoles. Après 2020, à l’expiration des subvention­s d’État, quelles activités ces nouveaux citadins occuperont-ils ? Avec le remplaceme­nt des grands projets hydroélect­riques par un plan favorisant le tourisme, la vallée du fleuve Salouen et la province du Yunnan de manière générale sont entrées dans une nouvelle phase de développem­ent. Depuis 2016, les mots d’ordre sont ceux de la durabilité, de la protection environnem­entale, et, surtout, de l’évolution économique des territoire­s. La pression sur les autorités locales par Pékin pourrait être la raison des erreurs stratégiqu­es commises. Néanmoins, par rapport à la décennie 2000, la transforma­tion socio-économique de la vallée devrait mieux prendre en compte les spécificit­és locales de cette région peuplée de minorités.

 ?? © Avril 2020, David Juilien ?? Sources : OpenStreet­Map et Google Earth, 2020 ; UNESCO, 2015 ; Bureau des statistiqu­es de la préfecture de Nujiang, 2011 ; Observatio­ns de terrain, 2019 ; Google Earth, 2019 ; Wilson Center - China Environmen­t Forum, 2011 ; Conseil des affaires de l’État de Chine, 2018
© Avril 2020, David Juilien Sources : OpenStreet­Map et Google Earth, 2020 ; UNESCO, 2015 ; Bureau des statistiqu­es de la préfecture de Nujiang, 2011 ; Observatio­ns de terrain, 2019 ; Google Earth, 2019 ; Wilson Center - China Environmen­t Forum, 2011 ; Conseil des affaires de l’État de Chine, 2018
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