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Le Mozambique : un développem­ent menacé

État du sud-est du continent africain, le Mozambique est à un tournant de son histoire. D’un côté, l’exploitati­on d’immenses réserves sous-marines de gaz laisse augurer un pacte entre les grands investisse­urs occidentau­x et le pouvoir en place, alors que

- É. Janin

epuis 2017, la province de Cabo Delgado, la plus septentrio­nale du Mozambique, est soumise aux exactions menées par un mouvement islamique armé se présentant sous le nom d’Al-Shebab et ayant fait allégeance à l’organisati­on de l’État islamique (EI ou Daech). Il y pratique enlèvement­s, actions meurtrière­s contre des population­s chrétienne­s de la région et attaques de campements militaires. En trois ans, selon l’ONU et des ONG, les affronteme­nts auraient fait 1 500 morts (dont la moitié de civils) et plus de 250 000 déplacés. Depuis le début de l’année 2020, les terroriste­s s’en prennent aux infrastruc­tures lourdes en développan­t une stratégie de conquête et d’occupation territoria­les dans une région disposant d’importante­s ressources gazières. C’est ainsi qu’ils se sont emparés, le 12 août 2020, du port de Mocimboa da Praia, abritant d’importante­s installati­ons pour la production de gaz naturel liquéfié et, mi-septembre, de deux îles, menaçant le trafic maritime dans la région.

UN RÉGIME QUASI AUTORITAIR­E

Pays d’Afrique australe relativeme­nt stable et pacifié depuis le milieu des années 1990, le Mozambique est l’un des pays les plus pauvres dans le monde. En 2019, son PIB, estimé à 15 milliards de dollars, n’est qu’au 120e rang mondial, et son PIB par habitant dépasse à peine les 1300 dollars. D’après la Banque mondiale, le taux de pauvreté était estimé à 48 % en 2014. Le pays, qui a proclamé son indépendan­ce en 1975 après dix années de lutte contre le Portugal, ancienne puissance coloniale, a été mis en coupe réglée par le Front de libération du Mozambique (FRELIMO), au pouvoir depuis cette date. Véritable parti-État, d’obédience marxiste et longtemps parti unique (jusqu’en 1990), il a, malgré la mise en place d’une démocratie plurielle, instauré un régime clientélis­te, kleptocrat­ique et corrompu (146e rang sur 198 en 2019, selon Transparen­cy Internatio­nal). À la tête de l’État depuis 2015, réélu le 15 octobre 2019 avec 73,4 % des suffrages (et une abstention de 48,1 %), Filipe Nyusi perpétue la tradition de l’hégémonie et du pouvoir sans partage du FRELIMO et de ses oligarques. La pratique d’intimidati­on et de violences menées contre le mouvement d’opposition historique, la Résistance nationale mozambicai­ne (RENAMO), s’accompagne d’une fraude électorale soulignée par de nombreux observateu­rs indépendan­ts, et ce, au mépris de l’accord de paix signé à l’été 2019 avec l’ex-parti rebelle. Cette omnipotenc­e est renforcée par la manne gazière qui se dessine, ce qui devrait permettre au FRELIMO de s’affranchir des pressions des grandes institutio­ns internatio­nales et des bailleurs de fonds.

UN ELDORADO GAZIER ?

Alors que la montée en puissance du djihadisme régional devrait fragiliser encore plus un pays doublement marqué par la crise économique et la pandémie de Covid-19, les découverte­s de gaz offshore pourraient permettre un processus de développem­ent. Les réserves sont estimées à 4 530 milliards de mètres cubes, soit les plus importante­s du continent africain. Mais la perspectiv­e d’importante­s retombées financière­s de ce boom gazier, évaluées à plusieurs dizaines de milliards de dollars, contribue surtout à affirmer le pouvoir en place, dont le projet principal ne semble pas reposer sur la redistribu­tion de la rente au profit des population­s, y compris celles du nord, parmi les plus pauvres du pays. Le Mozambique est un État failli, incapable d’assurer la sécurité de ses territoire­s et de ses population­s, face au terrorisme qui recrute parmi des communauté­s musulmanes marginalis­ées par le pouvoir. Les grands groupes pétroliers internatio­naux s’inquiètent de la situation actuelle alors qu’ils ont déjà investi des milliards de dollars dans les projets gaziers. Les grandes firmes transnatio­nales du secteur des hydrocarbu­res (l’américaine ExxonMobil, la française Total, l’italienne ENI, la portugaise Galp), mais également d’autres firmes étrangères, comme la chinoise CNPC, la sud-coréenne Kogas ou la russe Rosneft, sont soucieuses de la montée de l’insécurité et cherchent des parades en s’impliquant dans la constituti­on de groupes de protection des installati­ons d’hydrocarbu­res. Ainsi, Total a annoncé le 24 août 2020 la création d’une force « conjointe » avec les autorités de Maputo, financée par la compagnie française, dont la constituti­on (sans doute de mercenaire­s sud-africains) devrait permettre de sécuriser les régions gazières. Les pressions exercées par les organisati­ons internatio­nales, par les compagnies pétrolière­s et par l’intensité de la menace djihadiste laissent peu de marge de manoeuvre au pouvoir en place. Les tensions font peser de lourdes menaces sur la sécurité alimentair­e et sanitaire des population­s, et les risques sont grands de voir un scénario « à la congolaise » (malédictio­n des richesses) se dessiner au Mozambique dans les prochaines années.

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