L’oeil du cartographe par Dario Ingiusto
Faut-il toujours représenter des données en carte ?
Dans le monde numérique, un océan de données est disponible, et le mouvement « open data » (rendre accessibles et gratuites sur Internet certaines bases de données auparavant confidentielles et/ou payantes) libère la créativité. Pour un média, il s’agit d’un moyen privilégié de traduire visuellement des analyses en informations pour les lecteurs. Les modes de représentations incluent naturellement les cartes. Or la cartographie thématique, après un « âge d’or » où le mot « atlas » était synonyme de bonnes ventes en librairies, semble en perte de vitesse.
Les critiques à l’égard des cartes ne sont pas nouvelles, et les professionnels savent qu’une carte n’est pas toujours le meilleur moyen de représentation graphique pour un phénomène socio-économique. Toujours est-il que la carte reste un document fascinant qui attire ; visuellement, elle « accroche » le lecteur. Pour de nombreuses rédactions, elle est une valeur sûre, la carte pouvant « habiller » un article, quitte à parfois faire l’impasse sur les règles de sémiologie graphique. Pourtant, elle n’est pas toujours efficace ou nécessaire.
LA VISION CHOROPLÈTHE, CE FAUX AMI
Parmi les représentations les plus vilipendées, on trouve celles dites choroplèthes. Ces cartes, montrant un territoire coloré en fonction de la donnée, sont utiles lorsqu’elles révèlent une dynamique régionale ou lorsqu’elles sont dessinées avec un niveau de détail important, à l’échelle des communes par exemple. Mais elles écrasent les différences entre les territoires, comme la population. Par exemple, sur des planisphères, il est ainsi difficile de distinguer la couleur d’un petit pays mais bien plus peuplé que le Canada (que l’on remarque bien). Donald Trump est adepte des choroplèthes, lui rappelant sa victoire lors de l’élection présidentielle des États-Unis de 2016 : sur la carte 1, traduisant les résultats du vote et reprise à l’époque dans de nombreux médias américains, la grande majorité des comtés sont rouges, soit acquis aux républicains, mais cela ne tient pas compte de la population… En le faisant, avec par exemple un cartogramme, le résultat est sensiblement différent et plus proche de la réalité (cf. carte 2). Les cartes choroplèthes sont toujours utilisées pour leur rapidité d’exécution et leur facilité de compréhension par le public. Néanmoins, une fois le lectorat habitué à ces représentations, on peut tenter de l’accompagner vers des cartographies plus abstraites, comme ce
cartogramme dit de Dorling sur l’élection présidentielle française de 2017 (cf. carte 3). Les cercles sont proportionnels au nombre de votes pour chaque candidat, révélant une dynamique plus fiable des résultats.
DE L’INTÉRÊT DU GRAPHIQUE
Ne pas céder à la tentation d’une carte « accrocheuse » mais peu adaptée est un défi. Si les données ne sont pas liées à un territoire géographique, réaliser un graphique peut être plus pertinent. Les technologies facilitent la réalisation de « data visualisations » complexes, comme les diagrammes proportionnels ou treemap (cf. document 4), les diagrammes de flux (cf. document 5), les « cartes de fréquentation » ou heatmap (cf. document 6)…, variant ainsi les types de graphiques qui animent une page. Une ancienne et noble règle du Bauhaus répétait que « Less is more » : il faut reconnaître que visuellement, pour concentrer l’attention du lecteur sur la vraie signification des données, une carte peut parfois perturber. Certains éléments cartographiques (les côtes, par exemple) éloignent du coeur du sujet. Il s’agit donc de faire preuve de synthèse, même si l’envie de tout représenter est un réflexe de tout cartographe en herbe. Pour la presse écrite ou numérique, il y a un cas dans lequel réaliser une carte reste l’option à privilégier : l’environnement (cf. carte 7). En cette époque de changements climatiques, les cartes sur l’exploitation des sols, sur la fonte de la banquise ou sur la déforestation ont souvent une capacité informative et expressive plus importante, et leur usage ne saurait être qu’encouragé.