Hakawati, les derniers conteurs : résistance culturelle sur les routes de Palestine
l’historien julien gaertner et le cinéaste karim dridi nous embarquent dans un road trip intimiste à bord de la camionnette déglinguée de radi et mounira, un couple de palestiniens marionnettistes. ils sillonnent les territoires occupés depuis quarante ans pour perpétuer la tradition orale arabe et faire briller les yeux de centaines d’enfants.
Au fur et à mesure que s’enchaînent les représentations, la fatigue et l’abattement gagnent tant le couple que sa camionnette, laquelle menace de rendre l’âme à tout moment. Déstabilisés par les tristes récits que leur font les villageois rencontrés, ils en arrivent à douter de la pertinence de leur mission : perpétuer l’identité du peuple palestinien à travers le spectacle vivant. Même aux yeux de leurs propres enfants, ce rêve est une chimère. Ces derniers refusent de reprendre le flambeau et invitent les parents à une retraite bien méritée. Avec ce documentaire, les auteurs souhaitent « montrer que l’engagement et la lutte pour défendre son identité et sa culture peuvent se faire sans prôner la violence ou se complaire dans une posture victimaire. La résistance est ici uniquement culturelle, humaine. » Radi et Mounira opposent une résistance pacifique à l’usure, à l’occupation et, surtout, à la violence qui déchire leur terre. Leur unique arme : le théâtre. Leur éternel engagement : écrire pour leur peuple. L’intérêt de ce documentaire réside dans la mise en exergue de la figure du conteur arabe, dernier fil reliant les communautés palestiniennes. Les réalisateurs démontrent que l’identité palestinienne et les territoires où elle s’enracine sont bien plus riches, multiples et nuancés que ne les donne à voir le regard médiatique occidental. On croise ainsi au fil du film de nombreux Palestiniens druzes et chrétiens, et l’on constate que cette confusion identitaire affecte la population elle-même, après plus d’un demi-siècle de guerre et d’occupation. Une scène au sein d’une école dans le désert du Néguev interpelle : le couple de marionnettistes demande aux élèves s’ils sont Arabes israéliens ou palestiniens. Les jeunes Bédouins, gênés, finissent par répondre : « On ne sait pas, demandez au directeur. » Comme l’explique Karim Dridi, « en Palestine, il y a une acculturation permanente qui tend à effacer l’identité des gens, jusqu’à leur enlever tout repère ; ils savent qu’ils ne sont pas juifs, mais ils ne savent plus qu’ils sont Palestiniens ». Par ailleurs, comme le relate un agriculteur à Radi et Mounira, cette perte de repères est une conséquence de l’occupation : « Tout ce qui fait l’identité arabe : thym, eucalyptus, olivier, figuier, ils viennent ici le couper ! » La terre et l’identité ne peuvent subsister l’une sans l’autre. Hakawati, les derniers conteurs n’est pas encore distribué dans les cinémas français, mais il était disponible sur la plate-forme en ligne consacrée aux documentaires d’auteurs Tënk. À son sujet, les chroniqueurs du site dressent un triste parallélisme, voyant en lui « toute la tragédie de la jeunesse arabe, dont les allégories des corsaires, brigands et voleurs enchantent les enfants ; et que l’Europe fait rêver lorsqu’ils sont jeunes adultes. Et c’est là que repose tout le drame de la jeunesse palestinienne : il s’agit d’un désenchantement ». Habités par leur patrimoine jusqu’à leur dernier souffle, Mounira et Radi s’obstineront à poursuivre leur mission avec passion, humour et tendresse. Julien Gaertner et Karim Dridi rappellent que malgré les bombes qui s’écrasent, les murs qui s’érigent et les espoirs qui s’envolent, il restera des artistes pour conter les histoires tant que resteront des enfants pour les écouter. Après eux, qui sera là pour leur conter la Palestine ?