Le Moyen-Orient, la région du monde où tout commença
Plusieurs millénaires avant notre ère, le Moyen-Orient a vu se produire des révolutions anthropologiques à portée universelle. La première est la domestication des plantes et des animaux qui permit à l’espèce humaine de se sédentariser, donnant naissance à des villes. Pour les administrer, il fallut inventer l’État, la politique, le droit, l’écriture. La région fut aussi un lieu de productions spirituelles, laissant des témoignages écrits ou monumentaux.
Le Moyen-Orient est le premier des foyers de ce que les archéologues ont appelé le Néolithique. C’est ici que s’est opéré le passage d’une économie de prédation à une économie de production, transition rendue possible par la domestication des plantes et des animaux. Entre le nord de l’Égypte et le sud de l’Anatolie, environ 12 000 ans avant notre ère, s’épanouit la culture « natoufienne » caractérisée par l’abandon du campement temporaire, propre aux sociétés de chasseurs-cueilleurs, au profit du village permanent et de son habitat en dur. D’abord rondes et semi-enterrées, ces habitations évoluent vers une forme rectangulaire. Les populations natoufiennes ne pratiquent pas encore l’agriculture, mais développent des capacités de stockage des fruits de leur cueillette que complètent la pêche et la chasse. Cette dernière est facilitée par la domestication du loup, devenu chien. Il faut attendre environ un millénaire pour que s’achève la transition néolithique. Elle s’épanouit entre la Méditerranée à l’ouest, le désert syrien au sud, les monts Taurus au nord et Zagros à l’est, donnant naissance au « croissant fertile ». Partout où elle se produit, la néolithisation se traduit par un fort accroissement démographique. À partir du Ve millénaire avant
Jésus-Christ, certains villages deviennent des villes pouvant abriter plusieurs milliers d’habitants, dont une part croissante vit d’activités non agricoles. Si les chasseurs-cueilleurs avaient déjà inventé nombre d’outils de pierre, le Néolithique voit se développer la métallurgie et la poterie. La domestication des animaux permet leur usage « secondaire », c’est-à-dire non alimentaire. La maîtrise de la traction animale permet notamment le perfectionnement des araires et donne tout son sens à l’invention de la roue. L’accroissement et la concentration des richesses auxquels donne lieu la transition néolithique ont enfin des conséquences sociales : les inégalités internes aux sociétés se creusent (ce dont témoigne l’apparition de palais) et les conflits en leur sein et entre elles se multiplient (repérables au développement des fortifications).
L’INVENTION DE L’ÉCRITURE
Les premiers systèmes scripturaux apparaissent en Mésopotamie au début du IVe millénaire avant notre ère. La gestion des stocks dans les cités mésopotamiennes s’est d’abord effectuée à l’aide de jetons de comptabilité en argile (calculi). Leur forme permettait de garder la mémoire des quantités qu’ils avaient pour fonction d’inventorier ; ces jetons pouvaient être réunis à l’intérieur d’une bulle d’argile creuse qui était ensuite refermée et scellée. Vers 3300 av. J.-C., c’est sur la paroi extérieure de cette
enveloppe d’argile qu’apparaissent les premières formes d’écriture. Résumant le contenu de la bulle, elles finissent par les rendre inutiles. C’est pourquoi le recours aux jetons est progressivement abandonné et la bulle aplatie jusqu’à devenir une tablette. Celle-ci supporte d’abord des indications numériques, puis, avec le développement des pictogrammes, des informations de plus en plus précises quant à la nature du produit stocké et ses mouvements (entrée, sortie). Les pictogrammes sont des signes présentant une ressemblance formelle avec la réalité qu’ils ont pour charge de représenter. Au cours du IIIe millénaire av. J.-C., les signes évoluent vers une graphie plus schématique, due à l’usage d’un calame en roseau pour inciser les tablettes d’argile molle, ou « cunéiforme » (en forme de coins). À l’origine, il y avait autant de signes que de mots, soit plusieurs milliers. Avec le temps, l’écriture cunéiforme s’est simplifiée en adoptant un système syllabique : un signe renvoie non plus à une chose, mais à une syllabe et donc par un assemblage de celles-ci à un mot. L’écriture ne se réfère dès lors plus aux objets désignés par le langage, mais au langage lui-même dont elle retranscrit les sons sous forme de syllabes.
Au IIIe millénaire av. J.-C., les signes évoluent vers une graphie plus schématique, due à l’usage d’un calame en roseau pour inciser les tablettes d’argile molle, ou « cunéiforme ». À l’origine, il y avait autant de signes que de mots ; avec le temps, cette écriture se simplifie en adoptant un système syllabique.
Le troisième saut qualitatif correspond au passage à un système d’écriture alphabétique dans lequel chaque signe représente un son ou un phonème dont l’articulation permet de former des syllabes. Le nombre de signes utilisés, qui pouvait encore être de plusieurs centaines dans un syllabaire, tombe dès lors à une trentaine. Les plus anciennes traces d’écriture alphabétique, qui remontent au XVIe siècle av. J.-C., ont été retrouvées sur le site de Serabit al-Khadim au Sinaï. En dépit de ces vagues de simplification, dans le Moyen-Orient ancien, l’écrit demeura toujours le monopole d’une caste de privilégiés qui s’en servait comme d’un marqueur social et d’un instrument de consolidation de son pouvoir sur les masses illettrées.
L’INVENTION DE LA RELIGION
Le panthéon mésopotamien est riche de plusieurs dizaines de divinités. An, dieu du ciel, de la végétation et de la pluie, est le père de tous les autres dieux. Parmi eux, Enlil, le dieu de l’air, occupe une place à part, étant considéré comme le roi des dieux. Chaque État mésopotamien se place sous la protection d’un dieu ou d’une déesse en particulier : Inanna à Uruk, Nanna à Ur, Enki à Eridu. Une logique poussée à l’extrême à Assur dont le nom même est celui d’une divinité. Cette prédilection pour une divinité particulière n’empêche pas les États mésopotamiens de rendre en parallèle un culte à d’autres. Toute cité mésopotamienne possède donc plusieurs temples dévolus au culte de différents dieux. Le temple est le lieu de résidence d’une divinité sur Terre. À la fin du IIIe millénaire, il est fréquemment placé au sommet d’une ziggourat, édifice constitué d’une superposition de terrasses de superficie décroissante. L’univers religieux des Égyptiens présente de nombreuses similarités avec celui des Mésopotamiens, à commencer par son caractère polythéiste. Mais le pharaon y tient un rôle plus important que le roi mésopotamien. Descendant des dieux, il est l’unique intermédiaire entre les fidèles et ceuxci, le clergé n’ayant d’autre fonction que de le suppléer au quotidien dans cette tâche. Le Moyen-Orient est souvent présenté comme le berceau des trois monothéismes. S’il est effectivement le lieu d’apparition de cette forme nouvelle de religiosité dont le judaïsme constitue la première expression, il importe de comprendre que cette apparition fut le fruit d’une lente évolution. Déjà en Mésopotamie, chaque État privilégiait une divinité parmi les nombreuses qui peuplaient son panthéon. En Égypte, Akhenaton (Amenhotep IV qui règne de 1352 à 1336 av. J.-C.) avait décidé de ne plus rendre de culte qu’au seul dieu Aton et avait pour ce faire lancé une campagne iconoclaste destinée à éradiquer toute trace d’Amon.
On voit là s’esquisser un glissement vers l’hénothéisme, puis la monolâtrie, à savoir le fait de ne rendre un culte qu’à un seul dieu sans pour autant nier qu’il en existe d’autres. Dans le récit biblique de l’Exode, l’alliance que Moïse conclut avec Yahvé est conditionnée par ce dernier au fait que le peuple d’Israël en fasse son dieu unique et exclusif et renonce à en honorer d’autres, ce qui revient à reconnaître l’existence de ces derniers. Ce n’est que vers le VIe siècle av. J.-C. que le judaïsme s’affirme comme un monothéisme, c’est-à-dire qu’il postule l’existence d’un dieu unique et exclusif de tout autre.
DE LA CITÉ-ÉTAT À L’EMPIRE
Dès la plus haute Antiquité s’affirme cette caractéristique fondamentale de l’histoire du Moyen-Orient qu’est l’alternance de phases de fragmentation et d’unification politique. Durant les premières, une multitude de citésÉtats monarchiques indépendantes les unes des autres cohabitent tant bien que mal. Durant les secondes, l’une d’entre elles parvient à imposer son autorité à tout ou partie des autres, donnant naissance à une formation impériale. Les premières villes apparaissent en BasseMésopotamie (vers 3500 av. J.-C.) et dans la vallée du Jourdain (3000 av. J.-C.). Elles constituent le coeur de cités-États de petite taille composées d’un centre urbain fortifié et d’un arrièrepays rural pouvant abriter quelques villages. Toutes sont monarchiques et possèdent en leur centre un palais. Bien que géographiquement et culturellement proches les unes des autres, les cités sumériennes et levantines préservent leur indépendance, et il leur arrive fréquemment de guerroyer les unes contre les autres. Lagash et Umma sont ainsi réputées pour leurs sempiternelles anicroches. Sous les dynasties archaïques sumériennes (2900-2340 av. J.-C.), la conscience d’une unité culturelle semble avoir existé au sein des cités-États de Basse-Mésopotamie et certaines sources laissent penser qu’une forme de fédération regroupant plusieurs d’entre elles a existé. Il faut néanmoins attendre le règne de Sargon (2332-2279) pour qu’une de ces cités, Akkad, parvienne à imposer son hégémonie à ses voisines Ur, Lagash, Uruk et Kish, donnant naissance au premier empire de l’histoire. Il est étendu à toute la Mésopotamie sous le règne de Naram-Sin (2254-2218). À cet Empire akkadien, qui s’effondre en 2190 av. J.-C., succède à la fin du IIIe millénaire le plus modeste empire néo-sumérien d’Ur III qui domine la Mésopotamie méridionale de 2112 à 2004, date à laquelle il disparaît sous la double pression élamite et amorrite. Du XXe au XVIIIe siècle avant notre ère, la Mésopotamie connaît une longue période de fragmentation politique. Sous le règne d’Hammurabi (1792-1750), Babylone s’impose comme la nouvelle puissance dominante d’une région
dont elle prend progressivement le contrôle par les armes. Ce premier Empire babylonien succombe néanmoins face à son rival hittite d’Anatolie, dont les troupes pillent Babylone en 1595 av. J.-C. sans pour autant en prendre possession, laissant le champ libre au royaume kassite originaire des montagnes du Zagros. Dans la deuxième moitié du IIe millénaire, le Moyen-Orient devient un théâtre d’affrontement entre empires hittite, égyptien, hourrite, élamite et kassite. D’abord alliés contre les Hourrites, Égyptiens et Hittites finissent par s’affronter. Il faut aussi compter avec les invasions des « peuples de la mer » qui, venus de la Méditerranée centrale, tentent au XIIe siècle av. J.-C. de s’établir au Levant, provoquant l’effondrement de l’Empire hittite. Le premier millénaire est marqué par la constitution de l’Empire assyrien. Fondé au VIIIe siècle av. J.-C. par Tiglath-Phalazar III (745-727), il revendique l’héritage de l’empire d’Akkad. À son extension maximale sous Assurbanipal (669-627), il réunit pour la première fois sous une même autorité l’ensemble du ProcheOrient, de la vallée du Nil aux monts Zagros et de la Méditerranée au Golfe. Vaincu par les Chaldéens en 612 av. J.-C., l’Empire assyrien laisse place à l’Empire néo-babylonien qui connaît son apogée sous le règne de Nabuchodonosor II (605-552). La prise de Babylone par les Perses achéménides en 539 av. J.-C. marque l’intégration de la région dans un empire d’une envergure jusqu’alors inconnue dont le centre de gravité se situe plus à l’est.