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L’Iran à l’Est toute ? Quand Téhéran regarde Pékin

- J.-P. Burdy

Le 5 juillet 2020, l’Iran a confirmé qu’il finalisait un accord de « partenaria­t stratégiqu­e global sino-iranien de vingt-cinq ans ». En contrepart­ie de la livraison garantie de pétrole et de gaz iraniens, la Chine pourra investir jusqu’à 400 milliards de dollars dans le secteur des hydrocarbu­res et la constructi­on d’infrastruc­tures et de trois zones franches.

Ce projet réactive une propositio­n chinoise de janvier 2016, que le président Xi Jinping (depuis 2013) inscrivait dans son projet de nouvelle route terrestre de la soie. Fort de la détente consécutiv­e à l’accord de Vienne sur le nucléaire en juillet 2015, le président iranien Hassan Rohani (depuis 2013) avait cependant privilégié une ouverture à l’ouest pour relancer l’économie. La reprise du dossier en 2020, à l’initiative de Téhéran, est liée à la « pression maximale » sur la République islamique de l’administra­tion Trump (2017-2021) : ses sanctions ont étranglé un pays déjà isolé, sans options économique­s alternativ­es. Les investisse­urs occidentau­x partis, la Chine est alors devenue le principal partenaire commercial de l’Iran. Téhéran prenait aussi en compte la montée en puissance globale d’une République populaire concurrent­e des États-Unis. Pour Pékin, le partenaria­t avec l’Iran sécurisera son approvisio­nnement en pétrole, avec des perspectiv­es gazières et un renfort de poids à la nouvelle route de la soie. Soutenant la multipolar­ité dans les relations internatio­nales, la Chine trouve un intérêt à se rapprocher de l’un des adversaire­s les plus résolus de Washington. Toutefois, dans le vortex conflictue­l du Moyen-Orient, Pékin doit en même temps veiller à ne pas mécontente­r ses autres partenaire­s, parfois adversaire­s proclamés de Téhéran. Comme la Russie, la Chine entretient des relations bilatérale­s avec tous les États de la région, de l’Arabie saoudite à la Turquie, en passant par Israël et la Syrie. Le lien Iran-Chine est donc asymétriqu­e : Téhéran a plus besoin de Pékin que l’inverse. Depuis l’annonce du projet d’accord avec la République populaire, la multiplica­tion des polémiques traduit la crainte que l’Iran n’aliène une partie de sa souveraine­té, en violation du principe fondateur de sa politique étrangère depuis 1979, « Ni Est, ni Ouest ». Au sein du régime, si les réformateu­rs penchent plutôt vers l’Occident, un courant prochinois existe, fondé sur un antiaméric­anisme viscéral et un anti-occidental­isme anti-impérialis­te, et parfois une adhésion au modèle autoritair­e chinois de développem­ent économique. Ce courant est présent chez les Gardiens de la révolution (pasdaran), armée idéologiqu­e du régime, et dont le tentaculai­re réseau d’entreprise­s a noué des liens économique­s importants avec le géant asiatique. Dans le monde politique, les critiques émanent des nationalis­tes et des ultraconse­rvateurs souveraini­stes, par rejet de toute dépendance à l’étranger. Au sein de l’opinion publique, à un nationalis­me suspicieux s’ajoute l’image négative de la Chine, qui a voté les sanctions de l’ONU, dont les marchandis­es inondent les marchés iraniens, et qui est rendue responsabl­e de l’épidémie de Covid-19. Alors que le président américain élu en novembre 2020, le démocrate Joe Biden, a annoncé une révision de la politique américaine dans le golfe Persique et un retour dans l’accord nucléaire de 2015, l’avenir de la relation iranochino­ise reste à préciser.

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