L’Afrique victime du climat et des conflits
Frappé régulièrement par des inondations, des sécheresses et des cyclones, le continent africain voit aussi s’aggraver sa situation sécuritaire. Particulièrement vulnérable aux effets du changement climatique et en proie à de nombreux conflits que le facteur environnemental entretient ou exacerbe, l’Afrique traverse une période de crise humanitaire, alors qu’une nouvelle guerre a éclaté en Éthiopie en novembre 2020, dans la région du Tigré (nord).
L’Afrique subsaharienne contribue peu au changement climatique, mais elle en subit durement les conséquences. En effet, avec 0,83 tonne de CO2 par habitant en 2016, selon la Banque mondiale, un Africain émet six fois moins de gaz à effet de serre qu’un Français (5,2 tonnes). Prise dans son ensemble, l’Afrique représente 2 à 3 % des émissions mondiales, alors qu’elle rassemble 14 % de la population de la planète.
CULTURES ET SOLS MENACÉS
Les impacts du changement climatique y sont variés et de plus en plus fortement ressentis. Les températures continuent à augmenter : avec une hausse de 0,3 à 1,5 degré Celsius selon les régions par rapport à la moyenne du XIXe siècle, l’Afrique a enregistré en 2019 l’une de ses trois années les plus chaudes. Les pluies deviennent irrégulières, comme en témoigne la baisse de 25% des précipitations ces trente dernières années au Sahel, les inondations dans la même région en 2019, ou les sécheresses sévères d’Afrique australe en 2018 puis 2019. On observe aussi un accroissement de la fréquence et de l’intensité des événements climatiques extrêmes, tels que le cyclone Idai en mars 2019 au Mozambique, l’un des plus graves jamais vu dans l’hémisphère sud. De grandes villes très peuplées comme Abidjan (Côte d’Ivoire), Le Cap (Afrique du Sud) ou Alexandrie (Égypte) sont menacées par l’élévation du niveau de la mer. À moyen terme, l’agriculture sera impactée : on prévoit une baisse marquée de la productivité des céréales de base, d’autant plus forte que la désertification progresse et que la dégradation des sols diminue les surfaces cultivables. La surface du Sahara a augmenté de 10 % au cours du XXe siècle. Même constat pour la pêche, avec une baisse anticipée des prises halieutiques, pourtant source indispensable de protéines. De plus en plus touchée par les crises environnementales, l’Afrique est aussi le continent le plus fragile : selon le Notre Dame Global Adaptation Index, réalisé par l’université NotreDame (Indiana, États-Unis) sur la base de plusieurs critères (eau, alimentation, santé, écosystèmes, habitat humain, infrastructures), 23 des 30 pays les plus vulnérables au changement climatique en 2018 sont africains. Les plus pauvres sont surexposés et moins résilients face aux chocs, quels qu’ils soient : climatiques, politiques, économiques ou sanitaires, comme les conséquences de l’épidémie de Covid-19 l’ont encore montré, entraînant une nouvelle hausse de l’extrême pauvreté dans une région où elle ne reculait déjà que lentement, et conduisant le G-20 à une restructuration de la dette de 38 pays d’Afrique subsaharienne. Malgré des objectifs ambitieux déployés depuis les accords de Paris sur le climat en 2015, les États africains ont moins de moyens pour s’adapter, ce qui pose avec une acuité grandissante la question de la solidarité internationale et du Fonds vert pour le climat.
TENSIONS AGRICOLES ET CONFLITS
Le changement climatique apparaît en fait comme le facteur aggravant de nombreux problèmes préexistants. Dans une région où une personne sur cinq a faim et où 30 % des enfants souffrent d’un retard de croissance, la sécurité alimentaire est menacée par des changements aggravés par le facteur démographique : la population africaine devrait doubler et compter près de 2,5 milliards d’habitants d’ici à 2050.
Une croissance qui participe aussi à une pression accrue sur des ressources en cours de raréfaction. La diminution des réserves en eau attise au Sahel les tensions entre éleveurs et agriculteurs, favorisant l’essor du mouvement terroriste Boko Haram. En 2007, le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon (2007-2016), avait qualifié la situation au Darfour de « première guerre du changement climatique », et l’on retrouve aussi les concurrences pour l’eau dans le conflit entre les deux Soudan. En 2020, la Corne de l’Afrique, déjà frappée par des crises politiques graves, n’a plus les moyens de gérer l’invasion destructrice de criquets pèlerins. Les dégradations environnementales et les troubles politiques accroissent les déplacements de populations, déstabilisant des équilibres précaires dans nombre de régions. Cercle vicieux : les conflits à leur tour empirent les conditions de vie des Africains et hypothèquent le développement. On peut établir une corrélation entre zones de conflits, environnements abîmés et situation humanitaire critique : l’Afrique regroupe les trois quarts des 41 pays qui reçoivent une aide alimentaire extérieure de l’ONU en 2019. De nombreux points chauds persistent sur le continent africain. Alors qu’une branche de l’organisation de l’État islamique (EI ou Daech) fait régner la terreur dans le nord du Mozambique et semble étendre son influence vers la Tanzanie, la menace terroriste s’accroît au Sahel sous la pression d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). L’aggravation de la situation sanitaire dans le contexte de la Covid-19 a entraîné une crise migratoire de grande ampleur avec plus de 3 millions de réfugiés et déplacés selon l’ONU, aux confins du Mali, du Burkina Faso, et du Niger, une région durement éprouvée
par les dégradations environnementales et déstabilisée par la pauvreté et la violence. Les conflits internes sont nombreux, depuis les troubles au Cameroun, où la minorité anglophone est discriminée, jusqu’aux affrontements intercommunautaires agitant le Kenya, la Côte d’Ivoire ou le Tchad, tandis que le Nigeria reste déchiré entre nord et sud dans un conflit complexe qui conjugue les oppositions ethniques et religieuses avec la problématique du partage de la rente pétrolière. Les guerres civiles en Libye depuis 2011 et en Somalie depuis 1991 ont abouti à un éclatement territorial et à une désintégration des deux États. Certains conflits renaissent, comme au Sahara occidental, où, après trente ans de sommeil, les tensions sont ravivées entre le Maroc et les Sahraouis après l’incursion de l’armée marocaine dans la zone tampon en novembre 2020.
LE TIGRÉ, CENTRE DE DÉSTABILISATION RÉGIONALE
En Éthiopie, la guerre du Tigré est préoccupante. Après avoir été longtemps le parti dominant, le Front populaire de libération du Tigré (FPLT) a cédé le pouvoir en 2018 au Premier ministre
Abiy Ahmed, lauréat 2019 du prix Nobel de la paix pour son rôle dans la réconciliation entre son pays et l’Érythrée. Replié sur son fief du nord, le FPLT nourrit des visées séparatistes pour cette région de quelque 6 millions d’habitants, tandis qu’Addis Abeba défend une vision unifiée du pays. C’est pourquoi, lorsque le FPLT a maintenu en septembre 2020 l’organisation d’élections locales dont le pouvoir central refusait la légitimité et lance une attaque, le Premier ministre fait le choix de la riposte militaire dans le Tigré, lancée le 4 novembre 2020, pour reprendre la main dans le nord. Après que la région dissidente a été le théâtre de plusieurs massacres de civils dont les deux camps se rejettent la responsabilité, et qu’Abiy Ahmed a lancé l’« offensive finale » sur Mekele, la capitale tigréenne, les efforts de l’ONU et de l’Union africaine (UA) sont insuffisants pour protéger les populations, qui fuient massivement, notamment vers le Soudan. La situation, confuse, se détériore et fait craindre une déstabilisation de l’ensemble de la région. Le conflit se greffe sur de vives tensions intercommunautaires entre les Oromo, groupe majoritaire dont le Premier ministre est issu, les Tigréens qui se plaignent de leur marginalisation, et les Amharas, entretenant des contentieux historiques avec les Tigréens, mettant à mal la cohésion du deuxième pays le plus peuplé d’Afrique (115 millions d’habitants en 2020, selon l’ONU). C’est donc une grave crise humanitaire qui se profile dans la région.