Le tourisme mondial à l’heure de la Covid-19
Les restrictions adoptées pour limiter la propagation du coronavirus et de sa maladie, la Covid-19, ont plongé le monde du tourisme dans une crise sans précédent. Cette situation engendre des conséquences socio-économiques désastreuses pour les professionnels du secteur sur tous les continents. Elle suscite également des questions sur l’avenir d’une industrie phare de la mondialisation et sur des pratiques qui étaient devenues plus accessibles.
Le tourisme est né en Angleterre au XVIIIe siècle. D’abord réservé à une élite curieuse de découvrir les origines de la civilisation européenne, il s’est progressivement démocratisé au rythme de la généralisation des congés payés dans les pays occidentaux. Au cours des dernières décennies, la baisse du prix des transports aériens conjuguée à l’amélioration du niveau de vie dans les pays émergents et à l’accroissement des mobilités des séniors ont contribué à transformer le tourisme en un phénomène de masse, qui concerne l’ensemble des régions du monde et une majorité d’habitants de la planète. Selon l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), entre 1950 et 2019, le nombre de visiteurs internationaux est ainsi passé de 25 millions à 1,5 milliard par an. La répartition de ces flux à l’échelle mondiale révèle néanmoins l’existence d’importantes disparités.
L’ESSOR DU TOURISME CHINOIS DANS LA DÉCENNIE 1990
L’Europe est de loin la première destination : en 2019, 743,7 millions de touristes y ont été enregistrés, dont 579 millions dans l’Union européenne (UE). Viennent ensuite la zone Asie-Pacifique (360,1 millions) et le continent américain (219,5 millions), devant l’Afrique (71,9 millions) et le Moyen-Orient (65,1 millions). Avec 89,4 millions (2018), la France se maintient depuis les années 1990 à la tête du classement des pays les plus visités au monde, devant l’Espagne (83,7 millions) et les États-Unis (80,6 millions). La Chine représente quant à elle le principal espace émetteur de touristes de la planète. Dans ce pays, les voyages internationaux autrefois réservés à une élite privilégiée se sont démocratisés depuis le début des années 1990. Entre 1995 et 2018, le nombre de Chinois partis à l’étranger pour le plaisir est passé de 4,5 millions à 150 millions. Les pays asiatiques sont les grands bénéficiaires de ces évolutions. En effet, parmi les dix destinations les plus privilégiées par les touristes chinois, neuf se situent en Asie, à commencer par Hong Kong (49 millions), Macao (20 millions), deux cités au régime spécial en République populaire, la Thaïlande
(10,5 millions) et le Japon (8,4 millions). Ces chiffres laissent entrevoir l’impact de la fermeture des frontières chinoises sur le tourisme, asiatique et plus largement mondial, en 2020. Le tourisme impliquant par définition des déplacements de personnes et des interactions entre individus, les entreprises du secteur furent les premières à être affectées par les mesures mises en place aux niveaux local et international en vue de contrer la propagation du coronavirus. L’épidémie étant partie de Chine, la zone Asie-Pacifique fut la plus concernée par la baisse des flux touristiques en 2020, avec une diminution de près de 80 % des arrivées sur les huit premiers mois de l’année comparé à 2019. Cette réduction s’observe dans toutes les régions du monde, avec des baisses de l’ordre de 70 % au Moyen-Orient, 68 % en Europe, 65 % en Amérique. Selon l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE), l’industrie du tourisme comptait pour 10,4 % de l’économie globale avant le début de la crise sanitaire. À en croire les premières estimations, l’effondrement des mobilités touristiques pourrait engendrer une perte d’environ 730 milliards de dollars de recettes en 2020, soit huit fois plus qu’à la suite de la crise financière de 2008. Ce manque à gagner est particulièrement préjudiciable pour certains pays, à l’instar de la Thaïlande, où les revenus du tourisme représentaient près de 20% du PIB national. Cette baisse de fréquentation est encore plus terrible pour certains « pays-îles », comme les Maldives, le Cap-Vert, les Seychelles, dans les Caraïbes ou le Pacifique, dont l’économie est fortement dépendante de l’industrie touristique. D’une manière générale, on considère qu’avant la mise à l’arrêt du secteur du tourisme, ce dernier employait un individu sur dix au niveau mondial, tout en assurant des moyens de subsistance à des centaines de millions d’autres. Pour l’OMT, cette situation pourrait se traduire par des pertes d’emplois touchant plus de 120 millions de personnes à travers le monde. En Jamaïque, où 50% des devises étrangères proviennent du tourisme, le blocage des systèmes de transport qui soutiennent cette activité aurait déjà engendré la destruction de 300 000 emplois. Dans de nombreux pays du Sud, l’économie touristique repose essentiellement sur de micro et petites entreprises, ainsi que sur le secteur du travail informel. Ce sont généralement les femmes, les jeunes, ainsi que certains groupes historiquement marginalisés qui sont les plus durement touchés par la crise. Les récentes arrivées de migrants irréguliers sur les îles Canaries (Espagne) reflètent d’ores et déjà certains dégâts collatéraux provoqués par la pandémie. En effet, parmi les ressortissants marocains débarqués dans l’archipel, beaucoup étaient employés dans l’hôtellerie et la restauration ou travaillaient comme vendeurs ambulants auprès des touristes qui ont désormais déserté le pays.
VERS UN TOURISME DURABLE ?
L’industrie touristique reposant sur des mobilités aériennes polluantes et propices à la diffusion des virus, il est possible qu’elle ne retrouve pas son dynamisme d’avant la crise. Les lieux de concentration de voyageurs, à l’image des bateaux de croisières et des gros hôtels clubs, pourraient être les plus durablement affectés ; même si, avec le retour à la normale qui devrait s’amorcer en 2021, certains consommateurs reprendront rapidement leurs habitudes en matière de tourisme.
Les Nations unies ont toutefois appelé à une refonte profonde du secteur, en prônant une approche plus sûre, équitable et respectueuse des communautés d’accueil et du climat. Il est donc probable que les années à venir seront marquées par le développement de tendances qui commençaient déjà à gagner en popularité avant même le début de la pandémie, à commencer par le tourisme interne, qui représentait 75 % de l’économie touristique dans les pays de l’OCDE en 2019. Certaines catégories de population devraient ainsi changer en partie leurs habitudes, en privilégiant un tourisme de proximité, à taille humaine et plus soucieux de l’environnement. Opter pour le train et les modes de déplacement doux aux dépens de l’avion, aller à la rencontre de territoires plus proches de chez soi et de leurs habitants, ou partir moins souvent à l’autre bout du monde, mais pour des séjours plus longs, pourraient constituer quelques-unes des principales mutations du tourisme au XXIe siècle.