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Passation de pouvoir au Koweït : entre continuité et équilibre

- T. Yégavian

L’émir du Koweït, Sabah al-Ahmad al-Sabah, est décédé le 29 septembre 2020 à l’âge de 91 ans. Dès l’indépendan­ce en 1961, il est un pilier de cette monarchie pétrolière dont la dynastie est au pouvoir depuis le milieu du XVIIIe siècle. Après la guerre du Golfe de 1991, si le pays se fait plus discret que ses voisins, il reste attaché à l’unité du Moyen-Orient et à son rôle de médiateur diplomatiq­ue dans une région au coeur de crises majeures.

La disparitio­n de l’émir est une page qui se tourne dans la vie politique du Koweït, tant l’homme a marqué les arcanes du pouvoir du pays. Il avait été ministre des Affaires étrangères de 1963 à 2003, puis Premier ministre jusqu’à sa nomination en tant qu’émir en janvier 2006, remplaçant Saad al-Abdallah alSabah, écarté pour incapacité physique au bout de seulement neuf jours de règne. Le Koweït est l’unique monarchie constituti­onnelle de la péninsule Arabique, avec un Parlement élu de 50 membres. Si l’émir nomme le Premier ministre qui, à son tour, choisit les ministres, une majorité de députés peut retirer sa confiance à cet exécutif, ce qu’aucun autre État du Golfe ne permet. Les tensions entre l’émir et le gouverneme­nt d’une part et l’Assemblée d’autre part sont récurrente­s. Sabah al-Ahmad al-Sabah s’était posé en garant du système politique après la libération du pays de l’Irak en 1991. Il était perçu comme un médiateur par excellence et un élément clé de la stabilité de la région. Le Koweït est connu pour entretenir une longue tradition diplomatiq­ue de neutralité et de non-alignement, ce qui lui permet de conserver une représenta­tion en Iran sans s’aliéner ni les Saoudiens ni les Américains. Ces dernières années, le Koweït a multiplié les efforts de médiation dans les crises régionales. Refusant de s’engager militairem­ent au Yémen en 2015, il fait plusieurs navettes diplomatiq­ues entre le Qatar et ses voisins afin de tenter de guérir la fracture au sein du Conseil de coopératio­n du Golfe (CCG) depuis 2017, date depuis laquelle l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et Bahreïn n’entretienn­ent aucune relation avec Doha. Mais le bilan du souverain défunt demeure en partie ombragé par sa politique répressive en matière de Droits de l’homme. Sous son règne, de nombreux militants d’opposition, notamment issus de la communauté chiite (environ un tiers des 1,36 million de sujets koweïtiens sur un total de 4,27 millions d’habitants en 2020), ont été condamnés à de longues peines de prison. C’est son demi-frère, Nawaf al-Ahmad al-Sabah, qui lui succède. Né en 1937, il est un fin connaisseu­r des rouages du pouvoir, surtout des milieux militaires : il a été ministre de la Défense de 1988 à 1991 et chef adjoint de la Garde nationale de 1994 à 2003. Son âge avancé indique que la ligne de son prédécesse­ur ne bougera pas, ce que la nomination du prince héritier Michaal, né en 1940, a confirmé, le régime se montrant incapable de passer le relais à la jeune génération.

Considéré comme un point stratégiqu­e de transit pour les troupes déployées en Irak et en Afghanista­n, le Koweït est en quelque sorte un hub précieux pour les États-Unis, qui avaient défendu l’émirat face à Saddam Hussein (19792003) en 1991. Il abrite depuis un contingent de plusieurs milliers de soldats américains (2 285 en juin 2020), répartis sur différente­s bases. Sur le plan régional, le Koweït n’a pas l’intention d’emboîter le pas aux Émirats arabes unis et à Bahreïn en normalisan­t ses relations avec Israël, eu égard à un tropisme propalesti­nien fort. Sur le plan intérieur, la chute des prix du pétrole a ébranlé une économie déjà fragile.

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