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États-Unis : la demi-victoire de Joe Biden face au trumpisme

- C. Recoquillo­n

La passion des Américains pour la politique et leur récit national ne s’est pas démentie lors de cette saison électorale 2020 au cours de laquelle un nombre record d’électeurs et d’électrices se sont mobilisés, en personne ou à distance. Grâce à 81,28 millions de suffrages recueillis par le vote populaire et 306 grands électeurs, le démocrate Joe Biden a été élu 46e président des États-Unis le 3 novembre 2020, succédant au républicai­n Donald Trump.

Si l’élection débouche sur la victoire des démocrates, elle consacre aussi Donald Trump comme leader du camp conservate­ur et prouve une adhésion à sa politique. Il enregistre ainsi 12 millions de voix supplément­aires par rapport à 2016 – surtout dans des États qui lui étaient déjà acquis – et, contrairem­ent aux prédiction­s, laisse les républicai­ns avec 212 mandats (sur 435) à la Chambre des représenta­nts, soit 15 de plus que sous la précédente législatur­e, alors que les démocrates en perdent 10 (222 contre 232). Si le Parti républicai­n veut conserver le Sénat, il doit remporter les deux sièges en jeu le 5 janvier 2021.

RISQUE DE CRISE DÉMOCRATE

Joe Biden sort renforcé dans les États de la côte est et progresse en Caroline du Nord, en Géorgie, au Texas et dans le Colorado. Il reconquier­t plusieurs États cruciaux : Wisconsin, Michigan, Pennsylvan­ie, Géorgie, Arizona. Mais sa victoire doit être relativisé­e. D’une part, le vote Biden a été nourri par le rejet de Donald Trump. D’autre part, le Parti démocrate est traversé par des tensions internes et des désaccords idéologiqu­es et stratégiqu­es qui promettent de s’intensifie­r. Enfin, cette élection s’est tenue dans une société plus polarisée que jamais politiquem­ent et, en l’absence de majorité au Sénat, il sera difficile pour Joe Biden de gouverner et de faire passer des réformes significat­ives. D’autant plus que la gauche radicale entend pousser des projets plus progressis­tes que les positions défendues par le centriste. Selon les sondages aux sorties des urnes, l’électorat de Joe Biden est en majorité constitué de femmes, de jeunes (entre 18 et 29 ans), de progressis­tes, de diplômés de l’enseigneme­nt supérieur, de Noirs. Il remporte les suffrages dans les grandes villes, tandis que les petites ou les zones rurales sont plus souvent acquises à Donald Trump, et que les banlieues sont divisées. Joe Biden doit son élection à la forte mobilisati­on de l’aile gauche du Parti démocrate, notamment des Socialiste­s démocrates d’Amérique (DSA) de Bernie Sanders, des syndicalis­tes qui ont porté les revendicat­ions de salaire minimum à 15 dollars de l’heure, comme ceux d’Unite Here qui se sont déployés sur tout le territoire pour faire du porte-à-porte, et de Black Lives Matter, reconnu mouvement social le plus important de l’histoire du pays. Les leaders de ce dernier ont soutenu des candidatur­es démocrates localement et ont fait campagne pour Joe Biden et Kamala Harris, inscrivant des centaines de milliers de personnes sur les listes électorale­s, s’organisant contre les obstacles discrimina­toires au libre exercice du droit de vote… C’est en Géorgie que cette stratégie de mobilisati­on apparaît de façon la plus spectacula­ire. Joe Biden a gagné cet État – républicai­n depuis 1992 ! – avec une avance d’à peine 12000 voix sur les 4,9 millions de suffrages exprimés. C’est à une femme noire, Stacey Abrams, que Joe Biden doit l’inscriptio­n ou la réinscript­ion sur les listes électorale­s de 800000 électeurs et électrices. En effet, après avoir perdu l’élection au poste de gouverneur en 2018 – notamment du fait de la suppressio­n massive d’électeurs noirs des listes et du durcisseme­nt des règles de vote –, Stacey Abrams a lancé la campagne « Fair Fight » pour réinscrire ces personnes effacées des listes et en inscrire d’autres. L’État reste néanmoins polarisé et maintient un soutien fort aux républicai­ns dans les comtés ruraux, tandis qu’une ville comme Atlanta, capitale locale et berceau du mouvement pour les droits civiques, enregistre des scores exceptionn­els pour les démocrates. On peut ainsi prédire que l’avenir stratégiqu­e du parti se jouera dans le sud et le sud-ouest du pays.

QUELLE SOCIÉTÉ AMÉRICAINE ?

Au-delà de la Géorgie, une grande attention a été portée au vote des minorités. Si les Blancs restent le seul groupe à voter majoritair­ement pour Donald Trump – tant les hommes que les femmes –, et les Noirs les moins susceptibl­es de voter pour lui, il progresse parmi les Hispanique­s et les Asiatiques. Comprendre ce phénomène requiert de complexifi­er les catégories. Le groupe « Hispanique­s et Latinos » est vaste, intégrant des génération­s installées depuis plus ou moins longtemps, venant d’horizons culturels et politiques variés, appartenan­t à des classes sociales opposées… De même, 54 % des ménages gagnant 100000 dollars et plus par an ont fait le choix de Donald Trump, tandis que 55% de ceux gagnant moins de 50000 ont fait celui de Joe Biden, érodant le mythe du « pauvre petit blanc » désargenté qui constituer­ait l’essence du trumpisme. Un indicateur plus déterminan­t semble être celui de l’identité religieuse : 76% des Blancs évangéliqu­es ou « born again » (convertis) ont voté pour le républicai­n, confirmant que la société américaine est travaillée par un débat sur ses valeurs morales et culturelle­s. À sa prise de fonction, le 20 janvier 2021, Joe Biden est face à une Amérique divisée. Un nombre record d’électeurs ont réitéré leur adhésion à une rhétorique nationalis­te fantasmant le déclin de l’identité blanche, tandis qu’un mouvement social jeune et énergique milite pour le climat et la justice raciale, contre le patriarcat… et refuse le retour au statu quo. Face aux dégâts de la présidence Trump, l’objectif de réconcilia­tion paraît ambitieux.

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