Grèce-Turquie : une frontière maritime sous tension
Les images satellites sont devenues incontournables dans de nombreuses pratiques tant professionnelles que personnelles. Leur utilisation dans un cadre pédagogique est désormais courante. Ainsi, Carto s’est associée avec le Centre national d’études spatiales (CNES) et le ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, qui ont développé le site GéoImage (https:// geoimage.cnes.fr), pour montrer les enjeux du monde vus d’en haut. Cette image de la frontière séparant la Grèce et la Turquie a été prise par un satellite Sentinel-2 le 13 mars 2020. En couleurs naturelles, elle a une résolution native à 10 mètres.
Les îles de la partie orientale de la mer Égée, sur la dyade gréco-turque, sont au centre de l’attention depuis 2015 avec l’arrivée de migrants. Elles constituent une frontière extérieure de l’Union européenne (UE), marquée par de nombreux points de tensions géopolitiques portant sur des litiges frontaliers, régulièrement réactivés, entre les deux États.
image satellite ci-contre présente un littoral très découpé, avec de nombreux caps, presqu’îles, détroits, baies et îles, dont celles majeures de Lesbos, Chios et Samos, sous souveraineté grecque. De fait, la possession par la Grèce d’une myriade d’îles à proximité immédiate des côtes turques bloque les prétentions de l’héritière de l’Empire ottoman à disposer d’eaux territoriales amples. Un compromis a été trouvé avec une largeur des eaux territoriales fixée à 6 milles marins, contre 12 milles comme l’autorise le droit international de la mer (convention de Montego Bay de 1982). Négocié lors du traité de Lausanne signé le 24 juillet 1923, ce découpage est régulièrement remis en cause par la découverte de gisements sous-marins de gaz naturel. Loin d’être une simple ligne, la frontière possède une double dimension verticale, avec l’espace aérien d’un côté, et l’exploitation des fonds marins de l’autre. Les incidents aériens se sont multipliés du fait de survols des zones contestées par l’aviation turque et l’équipement progressif des deux pays en drones de surveillance. La montée des tensions se traduit régulièrement par des accrochages entre les forces armées grecques et turques. Ainsi, on soulignera celui d’août 2020 autour de l’île grecque de Kastellorizo, la plus orientale du pays et à seulement 2 kilomètres de la côte turque, qui a nécessité le déploiement par la France de deux navires de la Marine nationale et de deux chasseurs Rafale en soutien à Athènes. Ankara avait envoyé dans cette zone contestée des bâtiments de guerre pour escorter un bateau spécialisé dans la recherche d’hydrocarbures.
URGENCE MIGRATOIRE
Placée sur la « route des Balkans », cette zone est un couloir migratoire majeur vers l’UE. En 2015, un million de migrants rejoignent les Vingt-Huit à la suite de l’intensification du conflit syrien, submergeant les capacités d’accueil de la Grèce. Dans l’urgence, cinq hot spots sont créés à Lesbos, Samos, Leros, Chios et Kos. Ces centres d’accueil doivent distinguer les demandeurs d’asile des migrants économiques. Les plus grands sont ceux de Vathy, sur l’île de Samos (environ 5000 personnes), et de Moria, sur Lesbos, qui a hébergé jusqu’à 22 000 individus en février 2020. Ces camps sont constitués en auréoles périphériques ; depuis la bâtisse d’accueil originale faite de conteneurs et disposant d’infrastructures de base, jusqu’à une « jungle » faite de tentes et de campements informels. Les conditions de vie y sont dramatiques et les incidents se multiplient. Depuis le mois de mars 2020, l’épidémie de Covid-19 s’est ajoutée aux difficiles conditions sanitaires et à la surpopulation. Dans la nuit du 8 au 9 septembre 2020, le camp de Moria a été détruit par un incendie, nécessitant de reloger dans l’urgence ses 12700 « locataires », dont la moitié de femmes et d’enfants. Deux mois plus tard, un autre incendie touchait Vathy. Cette question migratoire est le fruit d’un compromis avec la Turquie qui négocie en 2016 un accord avec l’UE pour la gestion des flux contre des aides financières considérables (6 milliards d’euros). Ankara se trouve donc en position de force, n’hésitant pas à instrumentaliser la politique migratoire vers l’UE en cas de tensions.
PHÉNOMÈNE DE « BARRIÉRISATION »
Dans les îles grecques, le tourisme est en chute libre depuis 2015, privant les habitants de revenus financiers importants. Fin février 2020, des affrontements ont ainsi eu lien entre la police anti-émeute et des citoyens de Lesbos et de Chios s’opposant à la construction de nouveaux centres fermés pour les migrants. Le gouvernement grec du Premier ministre conservateur Kyriakos Mitsotakis (depuis 2019) envisage des mesures qui s’inscrivent dans une dynamique de « barriérisation », comme dans de nombreuses autres parties du monde. Il souhaite ainsi construire une « frontière flottante » dans la mer Égée pour empêcher la venue par bateaux de migrants en provenance de Turquie. Ce projet, s’il est mis en oeuvre, devrait toutefois n’avoir qu’une portée symbolique, au regard de l’étendue de la frontière. Cet espace à la géographie complexe, dans lequel se cristallisent des tensions géopolitiques et humanitaires, reste soumis à des enjeux d’une autre échelle. Le premier est la stratégie de la Turquie, une puissance qui cherche à s’affirmer sur la scène régionale, continentale et mondiale (Chypre, Syrie, Libye, Caucase). Le second est l’incapacité de l’UE à définir une politique migratoire commune et solidaire, laissant la Grèce seule et en première ligne des tensions.