Festival de géopolitique de Grenoble : « S’adapter »
la treizième édition du festival de géopolitique de grenoble, organisé pour la deuxième fois en format numérique du 22 au 26 mars 2021 en raison de la crise sanitaire due à l’épidémie de covid-19, a choisi pour thème « s’adapter ». terme vaste, indécis et qui peut surprendre compte tenu des tonalités habituelles de cet événement, mais qui n’empêchera pas les meilleurs spécialistes de débattre.
Le choix est négatif. Il écarte les mots « crise » et « risque ». « Crise » fait appel à l’idée de perturbations temporaires, d’une nature identifiée. « Risque » désigne des éléments de contextes potentiellement hostiles, mais qui peuvent être évités. Nous avons aussi évincé l’idée de « catastrophe » ou d’« effondrement », toujours possibles, mais dont le caractère anxiogène oblitère toute modération et réflexion. Le monde dans lequel nous évoluons n’est pas imprévisible. Des dynamiques en cours reconfigurent l’environnement à toutes les échelles et battent en brèche les certitudes sur lesquelles nous basions les visions collectives de l’avenir : le changement climatique, la contestation de l’ordre établi par des acteurs déployant de nouvelles capacités (Chine, Russie, etc.), l’affaiblissement du leadership américain, la critique d’une économie prédatrice de ressources et d’êtres humains, les bouleversements démographiques mondiaux, l’effet des nouvelles technologies, les angoisses sanitaires… Face à cela, la question centrale est celle de l’adaptation. Si risques il y a, ce sont dans les choix stratégiques à venir qu’ils résident : nos décisions seront-elles assez déterminées, rapides, pertinentes ? Si crise il y a, c’est au sens de crise systémique tant le paradigme dominant est caduc. Tous les acteurs sont concernés : appareils politiques (par nature préservateurs de l’ordre sur lequel ils règnent), système international (investi de la mission de « normer » le monde), sociétés civiles (méfiantes, parcourues de peurs et de revendications), communautés scientifiques (à l’expertise contestée, mais attendues dans la formulation de réponses), entreprises (assises sur un prérequis mal en point de stabilité des routes, ressources et mécanismes sur lesquelles leurs activités reposent). Les discours d’adaptation existent, que ce soit dans la formulation de nouvelles philosophies ou de nouveaux dispositifs : la décroissance, le développement soutenable, le retour au « local », le rééquilibrage des pouvoirs, la lutte contre les inégalités. D’autres promettent l’avènement de prophéties anciennes : la révolution prolétarienne qui couve, le grand effondrement dans ses versions spirituelles (la fin des temps) ou plus ou moins scientifiques. On y trouve aussi le complotisme, la « revanche » de l’histoire… Ces tendances se trouvent dans tout le spectre politique, mais également dans la posture de certains États. À quoi aspire la Chine si ce n’est à la restauration d’un ordre reconstruit autour du centre légitime d’harmonie et de vertu qu’elle incarne ? Que dit Vladimir Poutine lorsqu’il qualifie son pays de « sanctuaire de la vraie chrétienté » ? Quel rêve sinon celui du royaume de Dieu enfin advenu se trouve dans les aspirations à la pureté de l’islam fondamentaliste, ou dans certains courants radicaux israélites ou de la droite religieuse conservatrice américaine ? Ces discours sont des tentatives de formuler des réponses à la rupture qui se profile. La question de l’adaptation est celle des outils que l’on va se donner pour agir au mieux de nos intérêts dans cette configuration nouvelle. Outils techniques, politiques, économiques, sociétaux, institutionnels, philosophiques, qui pourraient permettre de construire la sécurité individuelle et collective de demain. L’adaptation ne peut être que technologique, ou dans l’optimisation de la gouvernance. Options dangereuses, car rien ne prouve que nous ne créons pas les problèmes de demain ni que nous ne dériverons pas vers des formes totalitaires d’organisation des sociétés. La géopolitique a pour finalité de produire des discours pour éclairer l’action. Sous-jacent à la thématique du festival se trouve le questionnement des conditions de sa pertinence pour lever les incertitudes sur le monde qui vient. Elle a évolué avec son temps, pour le meilleur et pour le pire. Il faut l’affranchir des grilles trop marquées par les situations passées pour la reconfigurer en fonction des questions qu’elle devra poser dans les temps qui viennent. Voici pourquoi nous vous invitons à participer à ce festival, dans une époque particulière.