Dix ans de guerre en Syrie : fragmentation et perte des frontières
Après dix ans de guerre, le territoire syrien est morcelé, éclaté. La plupart des cartes présentent un pays divisé en trois grandes entités : l’espace gouvernemental, la zone administrée par les Kurdes et celle contrôlée par les rebelles. Certaines représentations détaillées établissent des nuances, rappelant que ces entités ne sont pas homogènes et qu’il est nécessaire d’analyser frontières et limites à l’échelle locale pour comprendre la fragmentation du pays.
Avant la guerre, le territoire syrien comptait de nombreuses discontinuités multiscalaires liées à la structure communautaire de la population, aux écarts sociaux et de développement spatial. L’aménagement du territoire par le Baas n’a pas réussi à homogénéiser le pays, et la libéralisation économique des années 2000 a exacerbé le rapport centrepériphérie. Il faut ajouter désormais les discontinuités produites par la guerre, car l’ingérence étrangère participe à cette fragmentation : la présence de troupes russes, américaines, turques et iraniennes fait de la Syrie l’épicentre d’un arc de crise mondial.
DES FRONTIÈRES MALMENÉES
Les frontières internationales de la Syrie n’ont pas été remises en cause, si l’on excepte la reconnaissance en 2019 par les États-Unis de l’annexion du Golan en 1967 par Israël. Une solution de sortie de crise comparable aux accords de Dayton (1995) pour l’ex-Yougoslavie n’est pas à l’ordre du jour. La fenêtre d’hégémonie de l’Occident s’est refermée, la Chine s’est hissée au deuxième rang mondial, la Russie est là et il n’est plus question pour les États-Unis d’intervenir unilatéralement. Or Moscou et ses partenaires du groupe d’Astana (Iran et Turquie) sont opposés à une partition de la Syrie. Cela favoriserait l’émergence d’une entité kurde, que ni Ankara ni Téhéran ne souhaite voir advenir, qu’il s’agisse d’un État indépendant ou d’une entité autonome. Cependant, cela n’empêche pas ces puissances de se partager le pays en zones d’influence et de contrôler des portions de frontière syrienne, privant l’État syrien de sa souveraineté. La stratégie de contre-insurrection employée par Damas a porté ses fruits. Début 2021, le régime de Bachar al-Assad (depuis 2010) contrôle les deux tiers du territoire, dont les six principales villes (Damas, Alep, Homs, Hama, Lattaquié, Tartous, Daraa, Deir ez-Zor), soit 65 % de la population résidente (environ 17 millions de personnes). C’est un retournement complet par rapport à l’étiage du printemps 2013 (cf. cartes 1 à 4).
Cependant, en ce qui concerne les frontières internationales, la situation est moins brillante, puisque les forces loyalistes ne contrôlent qu’un tiers des dyades terrestres et que, parmi elles, ce n’est pas l’armée du régime qui s’impose. La douane syrienne gère officiellement les postes frontaliers avec le Liban, la Jordanie et l’Irak, mais la réalité du pouvoir est ailleurs. Ils sont occupés par le Hezbollah, qui a établi des bases du côté syrien (Zabadani, Al-Qusayr). La dyade syro-irakienne depuis Abou Kamal jusqu’à