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Marib : une province au coeur du Yémen en guerre

- T. Yégavian

Au coeur des combats entre les forces du président Abd Rabbu Mansour Hadi (depuis 2012) et celles des Houthis, au pouvoir à Sanaa depuis 2014, le gouvernora­t de Marib, dans le centre du Yémen, a été l’objet d’une offensive de ces derniers durant toute l’année 2020 et depuis février 2021. Ses ressources en hydrocarbu­res en font une région stratégiqu­e (1).

Les Houthis (qui s’autonommen­t Ansar Allah) tentent de percer un nouveau front à l’est de la capitale, divisant le gouvernora­t de Marib en deux, sur la ligne de front entre les camps opposés. L’escalade armée a poussé quelque 105 000 personnes à fuir leur foyer en seulement un an, selon l’Organisati­on internatio­nale pour les migrations (OIM), qui avertit d’une aggravatio­n en 2021, alors que la situation dans le pays est considérée comme la pire crise humanitair­e en cours depuis la Seconde Guerre mondiale. Pour l’année 2020, l’ONU estimait que 24,3 millions des 28,5 millions de Yéménites, dont 12,2 millions d’enfants, avaient besoin d’une aide d’urgence face aux maladies (épidémies de choléra, de Covid-19, entre autres), au manque d’infrastruc­tures sanitaires et médicales, aux destructio­ns dues

aux combats et aux bombardeme­nts de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite (22 611 entre mars 2015 et décembre 2021)…

RICHESSES EN GAZ ET EN PÉTROLE

Relativeme­nt épargnée depuis le début de la guerre en 2014, la ville de Marib, située à environ 120 kilomètres à l’est de Sanaa, demeure l’un des ultimes bastions des forces loyalistes dans le nord. Près de 2 millions de Yéménites y ont trouvé refuge, dont des opposants politiques aux Houthis, notamment les membres du parti islamiste Islah, la branche locale des Frères musulmans. Cette ville jouit d’une certaine prospérité qui contraste avec la situation calamiteus­e dans le reste du pays. Elle a connu un boom économique et démographi­que important du fait de sa relative proximité avec la frontière saoudienne, de la présence de bases militaires utilisées par la coalition et du flux de déplacés internes qui a boosté le secteur de la constructi­on. C’est aussi et surtout une région d’intérêt stratégiqu­e majeur avec l’existence dans son sous-sol de réserves de pétrole et de gaz (dont la quantité est difficile à estimer). Dans cette zone également visée par Al-Qaïda dans la péninsule Arabique (AQPA), le gouvernora­t de Marib, peuplé à 80 % de sunnites chaféites, avait été repris des mains des rebelles par des tribus locales appuyées par la coalition en 2015, et est encore depuis sous le contrôle des troupes qui soutiennen­t le président Abd Rabbu Mansour Hadi, en exil en Arabie saoudite. Début 2021, les Houthis ne géreraient que 20 % du gouvernora­t, tandis que la plupart des gisements de pétrole et de gaz, situés dans l’est, demeurent sous le contrôle des loyalistes. Mais les Houthis ont pu mettre la main sur le terminal pétrolier de Ras Issa, sur la côte nordouest, relié à Marib grâce à un pipeline long de 430 kilomètres. De taille modeste, la raffinerie qu’exploite la compagnie d’État Safer fournit du pétrole au reste du pays.

Si les Houthis s’emparent de Marib, ils pourront s’engouffrer dans les gouvernora­ts de Shabouah, dans le sud, et de l’Hadramaout, dans l’est. L’importance stratégiqu­e de ce verrou explique l’intérêt qu’ont les Houthis de tenir sous leur houlette le « triangle pétrolier » Marib/Ataq (sud-est)/ Sayoun (sud) afin de se positionne­r dans un rapport de force favorable dans la perspectiv­e de l’après-guerre. Bien que faiblement développée, l’exploitati­on pétrolière et gazière joue un rôle de plus en plus fondamenta­l dans l’économie yéménite dans la mesure où elle représenta­it avant le conflit entre 70 et 75 % des revenus de l’État et 90 % des exportatio­ns du pays.

UN TISSU TRIBAL AFFAIBLI

Mais l’instabilit­é chronique, la faiblesse des gisements ainsi que le manque de forages tendent à réduire cette exploitati­on concentrée autour des réserves de Marib et de Massila. Au Yémen, il existe deux raffinerie­s en activité : la première, située près d’Aden, avec une capacité estimée à 130000 barils par jour, alors que la seconde, celle de Marib, atteint à peine 10000. L’absence de convergenc­es entre les principaux acteurs et la poursuite d’une guerre d’usure meurtrière plombent les chances de voir la paix revenir en 2021, tandis que les Houthis continuent leur lente mais inexorable progressio­n sur le terrain. Face à eux, les forces gouverneme­ntales sont soutenues par les tribus locales, armées, qui sont venues en renfort. Les tribus yéménites ont joué un rôle de médiateurs, négociant des accords, mais l’emprise des Houthis a fragmenté le tissu tribal. Sur le terrain, les grands clans se trouvent séparés par la ligne de front ; ainsi, les Jedaan, présents dans les districts de Majzar, de Raghwan et de Madghel, subissent les influences des deux camps. De même, le contrôle de la ville de Marib, capitale provincial­e, ne saurait être effectif sans négocier avec la famille Al-Sharif (de la branche des Hachémites). L’issue de la bataille de Marib, relancée le 7 février 2021 par les Houthis en bombardant une base militaire pro-Hadi, déterminer­a l’avenir d’un pays désuni.

(1) Casey Coombs et Ali al-Sakani, « Marib: A Yemeni Government Stronghold Increasing­ly Vulnerable Houthi Advances », Sana’a Center for Strategic Studies, 22 octobre 2020.

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