Carto

Pérou : un pays sous pression politique et sociale

- C. Loïzzo

En novembre 2020, le Parlement du Pérou a voté la destitutio­n du président Martín Vizcarra (depuis 2018) ; les manifestat­ions qui ont suivi ont conduit à la démission de son successeur, Manuel Merino. Des élections sont prévues en avril 2021. Mis à mal par la corruption, le pays traverse une crise politique profonde, qui se décline dans le champ social et se double de problèmes sanitaires.

Au mois de novembre 2020, trois présidents se sont succédé à la tête du Pérou en moins de dix jours après la destitutio­n de Martín Vizcarra. Cette crise est notamment liée au scandale « Odebrecht », une affaire de corruption à l’échelle régionale autour du versement de pots-devin par l’entreprise de BTP brésilienn­e en échange de l’attributio­n préférenti­elle de marchés publics, qui a eu des répercussi­ons politiques dans 18 États latino-américains. Au Pérou, quatre anciens présidents ont ainsi été mis en cause : Alejandro Toledo (2001-2006), Alan García (2006-2011), Ollanta Humala (2011-2016) et Pedro Pablo Kuczynski (2016-2018), dont Martín Vizcarra assurait l’intérim après sa destitutio­n.

BRAS DE FER ENTRE EXÉCUTIF ET LÉGISLATIF

Une fois au pouvoir, Martín Vizcarra a lancé de nombreuses réformes dans les domaines politique et judiciaire, et a fait de la lutte contre la corruption son principal cheval de bataille, ce qui lui vaut une grande popularité, confirmée par le succès du référendum constituti­onnel de décembre 2018, qui valide l’encadremen­t des mandats des parlementa­ires et le financemen­t des partis. Mais cela occasionne des tensions permanente­s avec le Parlement, lui-même gangrené par la corruption (69 des 130 députés font l’objet d’enquêtes). La situation de blocage provoquée par le bras de fer entre exécutif et législatif a conduit Martín Vizcarra à dissoudre le Parlement en septembre 2019, ce qui a débouché sur l’élection, en janvier 2020, d’une assemblée fragmentée et sur l’émergence difficile d’un nouveau gouverneme­nt. Les tensions se sont pourtant prolongées, avec une première procédure de destitutio­n engagée par le Congrès contre Martín Vizcarra en septembre 2020, fondée sur des soupçons de malversati­ons, puis une seconde procédure qui aboutit en novembre 2020 à sa destitutio­n et à son remplaceme­nt par Manuel Merino. Ce dernier est néanmoins contraint à la démission sous la pression de la rue. Le Congrès nomme alors, le 16 novembre, un nouveau président, Francisco Sagasti, issu d’une formation centriste, le Partido Morado, seul mouvement du Congrès à n’avoir pas voté en faveur de la destitutio­n de Martín Vizcarra, et qui doit conduire le pays jusqu’à l’été 2021 en organisant notamment les élections du mois d’avril, espérant ainsi stabiliser la situation politique.

DÉFICIT MÉDICAL EN PANDÉMIE

Le Pérou reste englué dans une profonde crise sociale et sanitaire : avec 1,15 million de cas et quelque 41500 morts début février 2021, pour une population de 32,51 millions d’habitants (2019), il est en effet l’un des États les plus touchés au monde par l’épidémie de Covid-19. Les mesures prises ont été précoces et drastiques, avec un confinemen­t dès mars 2020, mais la pauvreté et l’importance du travail informel (70 %) en ont réduit l’efficacité tout en fragilisan­t la situation d’une grande partie de la population et en se traduisant par une forte augmentati­on des violences faites aux femmes. La nouvelle vague de l’hiver 2021 submerge un système de santé déficient que les mesures d’urgence des derniers mois n’ont pas suffi à renforcer, révélant ainsi des décennies de sous-investisse­ment dans les services publics. En 2017, selon la Banque mondiale, le Pérou compte 1,6 lit d’hôpital pour 1 000 citoyens (5,9 en France en 2018). Pourtant, le pays a connu depuis les années 2000 une croissance élevée, grâce à un climat favorable aux investisse­urs et à ses importante­s ressources minières, parmi lesquelles le cuivre, dont il est le deuxième producteur mondial derrière le Chili. Les cours de ce métal ont bondi dans le double contexte du ralentisse­ment de la production dû à la situation sanitaire et de la crise politique qui ont fait craindre des risques de pénurie. Ces performanc­es se sont traduites par un recul de l’extrême pauvreté (moins de 1,90 dollar par jour), passée de 17,4% en 2001 à 2,7% en 2018. Mais les conséquenc­es sociales de l’épidémie de Covid-19 s’annoncent brutales, avec une récession estimée à 13,9 % par le Fonds monétaire internatio­nal (FMI) en 2020, dans un pays déjà marqué par de fortes inégalités aussi bien sociales que spatiales et ethniques, avec une opposition entre le littoral et l’intérieur, ainsi que la marginalis­ation des individus d’origine amérindien­ne (environ 45 % de la population).

Des tensions ont par ailleurs éclaté dans le nord du pays, où les travailleu­rs agricoles ont dressé des barrages, paralysant pendant quelques jours la route panamérica­ine autour de la ville de Virú, à environ 500 kilomètres de Lima. Les manifestan­ts avaient vu leurs revendicat­ions conduire à l’approbatio­n par le Congrès d’une nouvelle loi agraire, qui augmente peu le salaire minimum et ne propose pas les garanties attendues par des travailleu­rs ruraux embauchés sur des contrats courts par les entreprise­s agroalimen­taires.

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France