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Guinée : nouveau mandat pour Alpha Condé dans la violence

- C. Braccini

En fonction depuis 2010, Alpha Condé a remporté pour une troisième fois la présidence de Guinée lors de l’élection du 18 octobre 2020, mais sur fond de violence. Instrument­alisations ethniques et réforme constituti­onnelle expliquent en partie le degré d’intensité des affronteme­nts. Quelles sont les perspectiv­es politiques et économique­s après une décennie au pouvoir ?

Alpha Condé a été élu dès le premier tour avec 59,4 % des voix, tandis que l’opposition a revendiqué la victoire de son candidat, Cellou Dalein Diallo (33,5 %). La question communauta­ire a été au coeur de la campagne et a attisé les opposition­s : les deux camps se sont accusés mutuelleme­nt d’instrument­aliser l’appartenan­ce ethnique, malinkaise pour Alpha Condé, peule pour Cellou Dalein Diallo. Mais si le scrutin s’est déroulé dans la violence, il s’inscrit dans un cycle plus long de contestati­ons. En mars 2020, le référendum constituti­onnel a déclenché une vague de manifestat­ions et de répression. La Constituti­on de 2010 limitait à deux le nombre de mandats présidenti­els ; la révision a permis à Alpha Condé de se représente­r, alors que son arrivée au pouvoir avait marqué l’avènement de la démocratie un demi-siècle après l’indépendan­ce (1958).

La limitation aurait permis d’éviter la cristallis­ation des tensions par le renouvelle­ment des acteurs et du jeu politique. Il s’agit de la troisième élection où s’affrontent les mêmes hommes depuis une décennie. La longévité d’Alpha Condé (né en 1938) fait planer la menace d’un pouvoir confisqué au profit d’une gérontocra­tie. Un réveil de la société civile, non pas uniquement sous l’effet d’une instrument­alisation politique, mais par un sursaut spontané, pourrait, à long terme, déstabilis­er la Guinée, d’autant que des fragilités économique­s et sociales persistent.

La croissance (5,6% en 2019, selon la Banque mondiale) est dynamique et devrait se poursuivre, tandis que la dette publique s’établit à 37,6% du PIB en 2018. Quelques réformes, comme l’achèvement du système d’imposition en 2019, ont amélioré le climat des affaires. Le développem­ent de projets hydrauliqu­es, telle la constructi­on du barrage de Kaléta, a amélioré l’accès à l’eau et à l’électricit­é – avec 1165 cours d’eau, la Guinée est le « château d’eau » d’Afrique de l’Ouest. Mais seuls 44 % des Guinéens ont accès à l’électricit­é en 2018 ; et la pauvreté touche 60% d’une population (12,77 millions d’habitants en 2019) à 63,5 % rurale. La corruption reste endémique. De plus, malgré la création d’un ministère des Droits de l’homme et des libertés publiques en 2011, les responsabl­es du massacre du 28 septembre 2009, qualifié de crime contre l’humanité par l’ONU, n’ont pas été jugés. Au moins 150 personnes avaient alors été tuées et une centaine de violences sexuelles perpétrées par les forces de sécurité. Le sentiment d’impunité se renforce au sein de la population.

La confiance envers le système Alpha Condé est à construire. Si la culture de corruption persiste, que les faiblesses économique­s continuent de nourrir les inégalités et que le jeu politique reste clos, les échéances électorale­s guinéennes seront l’occasion répétée d’explosions de violence ruinant les efforts accomplis pour stabiliser le pays.

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