Niger : un « réveil politique » face au mal-développement ?
L’élection du 27 décembre 2020 et du 21 février 2021 place le Niger sur la voie d’une transition démocratique réussie. Toutefois, le pays demeure l’un des plus pauvres de la planète. Confronté au maldéveloppement et à la progression de la menace djihadiste, il apparaît comme fragile, faisant face à des défis majeurs sur le plan sécuritaire et dans le domaine humanitaire. Le président élu, Mohamed Bazoum, homme de pouvoir depuis les années 1990, voit de plus sa victoire contestée par une opposition forte.
Le Niger vit un moment historiquement symbolique. Avec le retrait de Mahamadou Issoufou après les deux quinquennats consécutifs (20112021) que lui permet la Constitution, les deux tours de la présidentielle ont consacré son successeur désigné, Mohamed Bazoum. Soutenu par le Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS-Tarayya), la première force à l’Assemblée nationale (80 députés sur 171), il a recueilli 39,3 % puis 55,75 % des suffrages, selon les données officialisées le 23 février 2021. Mahamane Ousmane, ancien président (1993-1996) et leader de la Convention démocratique et sociale (CDS-Rahama), est arrivé en deuxième position avec 44,25 %. Bien que certains acteurs voient des possibilités de fraude dans des taux de participation élevés dans les zones désertiques (principalement peuplées de nomades), et malgré le peu de renouvellement de la classe dirigeante, le Niger, dont l’histoire politique est marquée par les coups d’État, est en passe de réussir la première et véritable transition démocratique depuis son indépendance en 1960.
DÉFIS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET DÉMOGRAPHIQUES
D’énormes défis attendent le nouveau chef de l’État, à commencer par le développement économique, social et humain d’un pays enclavé figurant parmi les plus pauvres du monde. Ainsi, 45,4 % des 23,31 millions d’habitants (2019) vivent avec seulement 1,9 dollar par jour en 2014, selon la Banque mondiale. Le Niger a pourtant connu ces dernières années une forte croissance, de l’ordre de 5% par an, appuyée notamment sur l’exploitation des ressources de son sous-sol : uranium dans la région d’Arlit, pétrole dans le sud-est (les autorités comptent sur une production de 500 000 barils par jour en 2025, contre 20 000 en 2019), or dans le Ténéré, l'Aïr et le sud-ouest. Mais la dépendance aux cours mondiaux en baisse, l’exploitation par des entreprises étrangères comme la française Orano (ex-Areva) pour la filière uranium ou la chinoise CNPC pour le pétrole ainsi que la faiblesse des infrastructures (une raffinerie saturée, un projet d’oléoduc vers la côte béninoise au point mort) privent le pays d’une partie importante des bénéfices. Surtout, la croissance économique est en grande partie absorbée par l’explosion démographique ; le Niger détient le record mondial du taux de fécondité (6,8 enfants par femme en 2018), alors que l’espérance de vie s’améliore (de 48,6 ans en 1998 à 62 en 2018). La population devrait plus que doubler d’ici à 2040 ; un défi considérable sachant que la moitié des Nigériens a moins de quinze ans, que 45 % des enfants souffrent de malnutrition, que seulement 17% des habitants sont raccordés à l’électricité et 45 % ont accès à l’eau, que le revenu annuel moyen se situe aux alentours de 560 dollars par habitant.
L’entrée en vigueur au 1er janvier 2021 de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA), qui avait été lancée en 2012 et qui devrait, à terme, former le plus vaste marché au monde avec 1,2 milliard de consommateurs, ouvre de nouvelles perspectives en pouvant jouer un rôle d’accélérateur d’intégration régionale. Mais les conséquences de la crise sanitaire de la Covid-19 et du changement climatique accroissent les difficultés du Niger. Le pays est par ailleurs confronté à la problématique des migrations clandestines vers l’Europe, dont il est l’un des principaux espaces de transit.
UNE SITUATION SÉCURITAIRE RÉGIONALE DÉGRADÉE
Le Niger s’inscrit en outre dans un contexte sécuritaire régional déstabilisé par le terrorisme, comme le rappelle la multiplication des attaques : le pays a été endeuillé par la perte de soldats dans des affrontements avec les djihadistes et par des massacres de civils (34 morts à Toumour le 12 décembre 2020, ainsi qu’une centaine de personnes tuées dans l’attaque de deux villages de l’ouest, Tchoma Bangou, et Zaroumadareye le 2 janvier). Le Niger fait face à une double menace : il subit dans le sud-est la pression du groupe djihadiste Boko Haram, qui a depuis consolidé ses bases dans toute la région du lac Tchad ; l’ouest est quant à lui exposé aux exactions de l’État islamique au Grand Sahara (EIGS), dont les violences ont entraîné la fuite de plusieurs centaines de milliers de déplacés. Le pays est débordé par des mouvements qui sont parvenus à s’enraciner en recrutant de nombreux locaux, notamment au sein des communautés les plus marginalisées.
L’appui de la France, dont les troupes sont engagées depuis 2014 dans la région dans le cadre de l’opération « Barkhane » (avec des bases à Niamey et à Aguelal), ne suffit pas à endiguer cette progression. Pas plus que la coopération militaire avec ses voisins au sein du G5 Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger, Tchad). Celle-ci déploie depuis 2017 une force conjointe financée par les cinq pays et la communauté internationale capable de transcender les frontières pour mener ses opérations face à des groupes mobiles (djihadistes, trafiquants de drogue et de migrants), mais dont l’ONU pointe le manque de moyens, de formation et de matériel, qui limite l’efficacité de son action. C’est dans ce contexte régional que Mohamed Bazoum commence un mandat teint de tensions intérieures fortes, avec de nombreuses manifestations de l’opposition, appelant à une alternance du pouvoir. Signe de bonne santé démocratique ou annonce d’un nouveau putsch ?