Chine-Australie : tensions dans le Pacifique sud
D’abord, il y a eu, en 2018, le refus de l’Australie d’ouvrir son marché de la 5G aux entreprises chinoises, puis, deux ans plus tard, sa demande d’enquête internationale sur les origines de la Covid-19. La ligne rouge a été franchie pour Pékin, qui a répondu par des représailles économiques à l’été 2020, provoquant une guerre commerciale entre deux pays aux grandes ambitions dans l’océan Pacifique, alors que les tensions entre la République populaire et les États-Unis s’intensifient.
Si les tensions sino-australiennes remontent à 2016, après la polémique en Australie autour du bail de 99 ans accordé à une entreprise chinoise pour gérer le port de Darwin, elles ont pris de l’ampleur en 2018 au sujet de la 5G. La même année, l’Australie adoptait une loi sur l’ingérence étrangère, ciblant notamment l’influence du Parti communiste chinois. Les tensions se sont renforcées avec l’épidémie de Covid-19. Et, en juillet 2020, à la suite de la nouvelle loi sur la sécurité imposée par Pékin à Hong Kong, l’Australie suspendait son traité d’extradition avec la région administrative spéciale et prolongeait les visas des quelque 10 000 Hongkongais vivant sur son territoire. La rupture fut consommée le mois suivant lorsque Canberra s’opposa au rachat de l’un des principaux producteurs de lait australien, Lion Dairy & Drinks, par l’entreprise chinoise Mengniu, pour 430 millions de dollars américains.
LA MENACE COMMERCIALE BRANDIE PAR PÉKIN
La Chine a riposté par une série de mesures punitives, interdisant notamment les importations de boeuf en provenance de quatre usines australiennes, puis imposant un droit de douane de 80,5 % sur l’orge, l’une des principales exportations australiennes. Après le refus du rachat de l’entreprise de produits laitiers Lion Dairy & Drinks (finalement reprise par la société canadienne Saputo), Pékin s’en est pris au charbon, laissant les navires australiens bloqués dans les ports chinois plusieurs mois en attendant d’être dédouanés. Puis ce fut au tour du cuivre, du bois, du sucre, du vin et du homard d’Australie d’être soumis à d’importants droits de douane. La Chine est son plus grand partenaire commercial : en 2019, 39,4 % des exportations de biens et 17,6% de celles de services en provenance d’Australie étaient à destination de la République populaire.
Pourtant, l’économie australienne est restée relativement peu touchée par ces mesures. Car la Chine n’en a pas imposé sur la plus grande exportation australienne vers le pays : le minerai de fer. Alors que plus de 60 % des importations chinoises proviennent d’Australie, son autre principal fournisseur, le Brésil, est en difficulté à cause de la présence de Covid-19 dans ses mines et de l’effondrement d’un barrage minier le 25 janvier 2019 à Brumadinho. Pour le premier producteur d’acier au monde, ces importations sont hautement stratégiques : avec une croissance de 8,3 % en 2019, la production chinoise d’acier atteignait cette année-là 996,3 millions de tonnes, soit 53,3% de la production mondiale. Dans le cadre du déploiement des nouvelles routes de la soie, Pékin ne peut pas se permettre un ralentissement. L’Australie est ainsi restée son principal four- nisseur en 2020 : les exportations de minerai de fer vers la Chine ont augmenté de 7 % pour atteindre 713 millions de tonnes. Pékin met néanmoins en place une stratégie parallèle de diversification de ses sources d’approvisionnement, en s’intéressant notamment à des mines en Guinée et en Inde.
Face à l’échec relatif des mesures de rétorsion commerciale contre Canberra, Pékin cible un autre pan de l’économie australienne. Après les Britanniques, les Chinois sont la deuxième plus grande communauté de migrants en Austra- lie : avec 650700 personnes en 2018, ils représentent 8,9 % de la population australienne née à l’étranger et 2,6 % du total. Depuis juin 2020, la République populaire a invité ses touristes et étudiants à éviter l’Australie, reprochant à Canberra la hausse des incidents racistes envers les Chinois d’Australie. En 2020, plus de 190000 étudiants chinois étaient inscrits dans les universités australiennes, une manne économique estimée à 9 milliards de dollars. En 2019, les touristes chinois en Australie étaient quant à eux 1,43 million, soit 15 % des 9,44 millions de touristes internationaux, contribuant à l’économie locale pour environ 9,5 milliards de dollars.
LUTTE D’INFLUENCE AUPRÈS DE MICRO-ÉTATS OCÉANIENS
L’autre enjeu de ces tensions se situe sur le terrain stratégique. Le Pacifique sud est devenu le théâtre d’une lutte de pouvoir entre les deux nations. L’Australie est un partenaire historique pour la plupart des pays de la région : Canberra y a beaucoup investi dans la santé, l’éducation et la gouvernance, et a su y maintenir une sphère d’influence. Mais Pékin accélère ses financements de projets d’infrastructures à grande échelle. Le Vanuatu est un exemple de territoire soumis à ce jeu sino-australien ; l’archipel, l’un des pays les plus pauvres au monde tout en étant un paradis fiscal, est de plus en plus dépendant de la Chine. Pour cette dernière, imposer son influence sur ces petits États qui contrôlent collectivement une zone océanique plus grande que la Russie est hautement stratégique. Pour l’Australie, au contraire, le développement d’une présence chinoise dans la région est une menace alors que trois de ses cinq principales routes commerciales maritimes passent par le Pacifique.