Les routes de l’abeille et du miel en Slovénie
Depuis son entrée dans l’Union européenne (UE) en 2004, la Slovénie mène des politiques environnementales actives. En développant une filière d’« apitourisme », elle s’appuie sur une ressource inédite pour se faire connaître : une abeille, l’Apis mellifera carnica et son écosystème apicole. L’ancien pays yougoslave se démarque ainsi à l’échelle du continent, même s’il reste un petit producteur de miel par rapport à ses voisins européens.
Dès son accession à l’indépendance en 1991, la Slovénie (20 273 kilomètres carrés pour 2,07 millions d’habitants en 2019) a engagé des politiques de protection des espaces naturels, dans un pays où la forêt couvre plus de 60 % du territoire, et dont la biodiversité est symbolisée par une population d’un millier d’ours. À partir de 2004, elle a joué la carte écologique comme facteur d’intégration à l’UE, en s’appuyant sur les politiques de convergence territoriale, et en candidatant systématiquement aux appels d’offres environnementaux.
En 2020, un parc national, trois régionaux, 34 paysagers et 66 réserves naturelles couvrent ensemble 13 % du territoire. Plus d’un tiers du pays est classé en zone « Natura 2000 » de protection de la biodiversité, la part la plus élevée de l’UE. Et Ljubljana a obtenu en 2016 le titre annuel de « Capitale verte européenne ».
PROTECTION DE L’ABEILLE « NATIONALE » MELLIFÈRE CARNICA
L’une des politiques de protection s’est attachée à l’Apis mellifera carnica, ainsi dénommée en 1879. Cette abeille grise est réputée pour sa robustesse, sa placidité et sa bonne adaptation aux hivers froids de son territoire initial – les provinces austro-alpines de Carinthie, Styrie et Carniole. Dès avant la Première Guerre mondiale, des éleveurs commerçants expédient des essaims et des reines carnioliennes dans toute l’Europe, vers la Russie et jusqu’en Amérique du Nord. De nos jours, l’abeille carnica est toujours exportée et élevée dans le monde entier (Australie, Nouvelle-Zélande, Argentine, États-Unis). Depuis 1991, la Slovénie a, en quelque sorte, nationalisé cet insecte. Une loi de 2003 dispose que la carnica est seule autorisée dans les ruchers slovènes : l’importation et l’élevage d’autres sous-espèces sont interdits. Cette exclusivité a été inscrite dans le traité d’adhésion à l’UE en 2004, une clause dérogatoire exceptionnelle aux règles européennes de libre circulation. Une quarantaine d’éleveurs slovènes agréés produisent entre 30 000 et 40 000 reines par an, et en commercialisent le tiers à l’étranger. À l’échelle européenne, la Slovénie possède 205 000 ruches sur les 17,57 millions recensées dans l’UE en 2018.
L’APITOURISME, UNE INNOVATION TYPIQUEMENT SLOVÈNE
Dans une économie dominée par les services, le dynamisme du secteur du tourisme (12,3% du PIB et 12,8 % des emplois en 2018) doit pour
partie à la valorisation de la « Slovénie verte ». Au-delà du tourisme traditionnel (montagne, mer, thermalisme), l’accent est mis sur l’écotourisme durable, inspiré de l’agritourisme de l’Italie voisine. L’abeille carnica et l’apiculture font ainsi l’objet d’une promotion sans équivalent ailleurs : l’apitourisme, qui associe tourisme durable et économie apicole. La Slovénie est le pays qui compte le plus grand nombre d’apiculteurs (11 349 sur la saison 20202022, sur un total de 612 030 dans l’UE) rapporté à sa population : un Slovène sur 185 détient des ruches, quatre fois plus que la moyenne de l’Union. Si elle ne pèse pas lourd économiquement – la production de miel a atteint 1 700 tonnes en 2018, loin derrière la Roumanie (30900) ou l’Espagne (29400) –, l’apiculture slovène est forte de traditions anciennes et très organisée autour de l’Association slovène des apiculteurs (CZS, en slovène), créée en 1873 et qui a accueilli, en 2003, le 38e congrès mondial d’apiculture Apimondia. La CZS a développé des « ApiRoutes », une offre de visites de découverte du monde de l’apiculture, et d’éducation à l’environnement, à destination de publics scolaires et de touristes individuels ou en groupes. Sont proposées des visites d’exploitations apicoles, qui associent initiation à l’apiculture, éducation sur les pollinisateurs, et toujours la vente directe des produits de la ruche (miels, gelée royale, hydromels, pains d’épices). Cette dernière peut être économiquement significative dans certaines zones rurales. L’apithérapie s’inscrit dans la culture centre-européenne des stations thermales en intégrant, dans la pharmacopée, la propolis, le venin d’abeille et l’inhalation de l’air fongicide et bactéricide émanant des ruches. Les « ApiRoutes » mettent aussi en valeur le patrimoine des célèbres ruches aux frontons peints, et plusieurs musées.
Les apiculteurs du monde entier forment une catégorie spécifique de visiteurs en Slovénie. Ils parcourent en général la « Route du miel Anton Jansa », du nom d’un pionnier de l’apiculture moderne (1734-1773), premier professeur à l’école d’apiculture installée à Vienne par l’impératrice Marie-Thérèse (1740-1780). Cette voie aligne exploitations apicoles, élevages de reines, ruchers historiques et le musée d’apiculture de Radovljica (Haute-Carniole). La capitale du pays, Ljubljana, a balisé un « chemin urbain des abeilles » (Ljubljana Bee Path), et a constitué en 2018 le réseau européen BeePathNet, associant sept villes ayant développé des circuits apicoles. Enfin, en 2017, la Slovénie a convaincu l’Assemblée générale de l’ONU d’adopter une « Journée mondiale de l’abeille » (World Bee Day), fixée au 20 mai de chaque année, date anniversaire de la naissance d’Anton Jansa.