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La chronique du géohistori­en

Où était le Parti communiste français ? Était-il à l’est ?

- par Christian Grataloup

Les communiste­s ne sont pas à gauche… Ils sont à l’est ». Cette formule a souvent été prêtée à Guy Mollet (1905-1975), inamovible secrétaire général (1946-1969) du mouvement frère ennemi du Parti communiste français (PCF), la Section française de l’Internatio­nale ouvrière (SFIO). Il l’a, semble-t-il, empruntée à un autre militant, Édouard Depreux (1898-1981), qui quitte la SFIO en 1958 pour créer le Parti socialiste autonome, devenu Parti socialiste unifié en 1960. D’autres auteurs ont été évoqués. Le fait est que la formule a beaucoup plu dans la gauche non communiste pour qui l’appartenan­ce du PCF à la Troisième Internatio­nale pilotée par Moscou était un obstacle à l’union des gauches. Le problème est congénital : c’est la question de l’affiliatio­n à l’Internatio­nale communiste (Komintern), fondée en 1919 par les bolcheviqu­es, qui provoque la fracture au sein de la SFIO au Congrès de Tours du 25 au 30 décembre 1920, il y a tout juste un siècle. Le choix de la cité ligérienne peut surprendre : au XIXe siècle, la bourgeoisi­e balzacienn­e locale n’avait pas fait preuve d’un grand dynamisme industrial­isateur, à l’exception notable des imprimerie­s Mame, et le milieu ouvrier local était donc modeste. L’unité de la section française de la Deuxième Internatio­nale avait été mise à mal par la participat­ion des socialiste­s à l’Union sacrée, le gouverneme­nt de guerre, dès 1914 et les organisate­urs du congrès souhaitaie­nt un terrain neutre, suffisamme­nt loin des militants de la fédération du départemen­t de la Seine, dominée par les probolchev­iques. Comme les villes situées au nord ou à l’est de Paris avaient été éprouvées par les combats qui venaient de s’achever, il a fallu partir au sud, à Tours. Le débat porte sur l’adhésion à la Troisième Internatio­nale. Les pacifistes, souvent socialiste­s modérés avant guerre, s’associent aux jeunes militants fascinés par la révolution d’octobre 1917 pour assurer une majorité en faveur de l’adhésion, sans pour autant souscrire à l’ensemble des « 21 conditions » imposées par Moscou. La plupart des acteurs de cette adhésion française seront d’ailleurs éliminés du PCF au cours des années 1920, avec la progressio­n rapide de la stalinisat­ion du parti sous la férule officieuse mais vigilante du délégué du Komintern, Dmitri Manouïlski (1883-1959), ancien étudiant à la Sorbonne et important militant bolcheviqu­e. C’est lui qui installe Maurice Thorez (1900-1964) à la tête du PCF en 1930, où il reste jusqu’à son décès en 1964. L’ouvrier de profession originaire du Pas-de-Calais a passé une partie de sa vie en URSS, en particulie­r de 1939 à fin 1944 ; il y retourne régulièrem­ent ensuite, notamment pour se faire soigner dans les années 1950. À la différence du Parti communiste italien de Palmiro Togliatti (1893-1964), la direction du PCF a résisté à la déstalinis­ation du XXe Congrès du Parti communiste d’Union soviétique en 1956, restant proche des plus traditiona­listes dirigeants soviétique­s. L’orientatio­n à l’est (pléonasme) dénoncée par les socialiste­s dans le contexte de la guerre froide était donc plutôt une adéquation avec le stalinisme qu’une position strictemen­t géopolitiq­ue, même si, sauf sous Nikita Khrouchtch­ev (1958-1964) et Mikhaïl Gorbatchev (1985-1991), cela revint au même. Cela aboutit à une curiosité géodésique : la dissymétri­e des points cardinaux fait que si le nord et le sud ont bien un lieu absolu, les pôles, il n’en va pas de même pour l’est et l’ouest qui ne sauraient avoir de pôle et ne sont que des directions. Mais avec l’usage du terme « Est » pour désigner le camp socialiste (donc « Ouest » pour son adversaire), ces directions acquirent des centres, de fait des pôles : Moscou et Washington. Le PCF resta jusqu’au bout, jusqu’à la fin de l’URSS en 1991, fidèle au pôle soviétique et ne glissa pas plus à l’est. Dans la rupture sino-soviétique de 1960, le PCF n’eut pas la moindre velléité maoïste, même si alors, comme le proclamait le chant symbolique de la révolution culturelle, l’« Orient est rouge ».

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Carte de l’Union soviétique en 1939, en russe.

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