Carto

L’oeil du cartograph­e par Dario Ingiusto

- D. Ingiusto

Cartograph­ie humanitair­e : des cartes pour sauver des vies

Dans un contexte de catastroph­e (guerre, tremblemen­t de terre, inondation, épidémie…), une carte des zones d’interventi­on, des routes et des transports, des besoins de la population, des aménagemen­ts sanitaires et alimentair­es se révèle une alliée précieuse pour les acteurs de l’aide. Toutefois, nous sommes en droit de nous interroger : existe-t-il une « cartograph­ie humanitair­e » au style et aux normes propres ?

Si les règles de cartograph­ie utilisées en histoire, en géopolitiq­ue ou en topographi­e sont proches, il faut dans le cas humanitair­e tenir compte d’aspects plus pragmatiqu­es et fonctionne­ls. Les cartes jonglent alors entre deux grandes contrainte­s : les délais et les données. Le temps est la variable principale de ce travail, qui doit être terminé rapidement, pour pouvoir servir de base aux équipes sur le terrain. Le but est de fournir un document le plus abouti possible et utilisable par tous, sachant qu’il ne sera pas parfait, voire qu’il présentera des erreurs.

Ces cartes vont avoir un impact important sur les missions. « De ce que la carte traduira géographiq­uement découlent des chronogram­mes d’activité, des microplann­ings et, in fine, des budgets », selon Marie Beeckman, membre de CARTONG. La difficulté principale concerne la

donnée. « La plupart des pays d’interventi­on ne disposent pas de portails nationaux sur lesquels on peut facilement récupérer les jeux de datas avec les découpages administra­tifs à jour, la localisati­on des villes et villages », ajoute Marie Beeckman. La collecte de données devient alors un travail de fourmi : la data est recherchée sur plusieurs plates-formes, elle est comparée, complétée, sans réelle certitude sur la qualité finale (exhaustivi­té, précision). Puis, il y a le terrain. Pour Fabien Lambertin, cartograph­e pour Médecins sans frontières (MSF), sa fonction porte un « devoir de vigilance quant à la diffusion des données (anonymisat­ion des patients, lieu de passage de groupes armés, informatio­n à caractère ethnique). Il est parfois préférable que certaines cartes ne soient pas réalisées ».

UN GRAPHISME À AMÉLIORER

Pour assurer des délais courts et rendre la lecture aisée à tout public, le graphisme est souvent standardis­é. « Sobre », « clair », « lisible », « épuré » sont les mots-clés de l’esthétique cartograph­ique dans ce milieu, qui s’accorde peu de « folies ». Les cartes auront un aspect technique et pédagogiqu­e pouvant s’adresser à des personnes n’ayant pas les bases de lecture de la cartograph­ie. Le choix du logiciel est lié à cette double contrainte de vitesse d’exécution et de lecture. Le travail est toujours fait dans un système d’informatio­n géographiq­ue (SIG), de façon à pouvoir mettre à jour et adapter en permanence les cartes. En revanche, un autre type de carte peut être produit pour les décideurs, aux sièges des grandes organisati­ons, pour la communicat­ion.

Malgré ces exigences, certaines améliorati­ons seraient bénéfiques : la projection cartograph­ique est parfois mal adaptée au terrain ; les logiciels montrent tous les toponymes d’une région alors que beaucoup d’entre eux surchargen­t inutilemen­t les cartes ; les couleurs ne sont pas toujours hiérarchis­ées quand elles mériteraie­nt de l’être ; la multiplica­tion de cartouches et de textes en majuscule, réservés aux informatio­ns « importante­s », crée de la confusion… Ainsi, la carte 1 montre les distances routières depuis Bikoro, en République démocratiq­ue du Congo (RDC), mais il n’est pas simple de repérer cette ville au premier coup d’oeil. Concernant les ressources en ligne, le travail des agences onusiennes reste incontourn­able : pour des cartes finies, des rapports ou des informatio­ns déjà traitées, la plate-forme

Reliefweb recense de nombreux matériaux, parfois difficiles à obtenir auprès des autorités, comme l’insécurité alimentair­e en Haïti (cf. carte 2). Pour de la donnée brute à travailler en cartograph­ie, Humanitari­an Data Exchange et UNOSAT (images satellitai­res) fournissen­t des éléments précieux. Mais la « galaxie ONU » n’est pas la seule à évoluer dans cet écosystème puisque des ONG spécialisé­es dans la cartograph­ie sont apparues, comme la britanniqu­e Mapaction, l’américaine IMMAP, la suisse REACH ou la française CARTONG. Dès 2010, la dimension libre et participat­ive d’openstreet­map en a fait un acteur privilégié de la cartograph­ie humanitair­e. Ainsi, la Humanitari­an Openstreet­map Team coordonne des interventi­ons d’urgence de cartograph­es autour du monde en cas de conflits, de catastroph­es naturelles ou sanitaires. Sur certains projets, notamment durant l’épidémie d’ebola, le travail réalisé par les bénévoles a été massif et rapide sur des territoire­s peu connus, comme les villages reculés de Guinée. Cette ONG joue sur une puissante communicat­ion pour mettre en lumière « le milliard de personnes qui n’apparaisse­nt pas sur une carte », et chacun peut apporter sa contributi­on.

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